Rwanda : le document négationniste du CNED (éducation nationale)

Bruno Gouteux - 19/12/2013
Image:Rwanda : le document négationniste du CNED (éducation nationale)

« le génocide des Hutu par les Tutsi au Rwanda »
Ibuka interpelle le Ministre de l’éducation nationale

En 2012, Jacques Schaff revenait déjà, dans la revue La Nuit rwandaise, sur l’accablant traitement réservé au dernier génocide du XXe siècle, le génocide des Tutsi, dans les manuels scolaires français : « Le génocide des Tutsi du Rwanda dans les manuels scolaires français de 1995 à 2008 ».

A l’heure où nous nous apprêtons à commémorer le vingtième anniversaire du génocide, l’éducation nationale française s’illustre cette fois, par l’entremise du CNED*, le Centre National d’Enseignement à Distance, en distillant des propos négationnistes.

[Mise à jour de la rédaction du 19/12/2013 à lire en fin d’article]

« Vingt ans après le génocide des Tutsi, il faut encore se battre pour rappeler que c’est bien la communauté tutsi en priorité qui était visée ? », s’interroge Alain Gauthier, président du CPCR, Collectif des Parties Civiles pour le Rwanda, rappelant « qu’un document officiel, utilisé dans nombre d’écoles françaises à l’étranger, et en particulier au Rwanda, puisse tronquer à ce point la vérité est tout à fait scandaleux. »

Alain Gauthier d’ajouter : « Une telle contre-vérité est tout à fait insupportable et nous ne pouvons accepter qu’elle soit mise sur le compte d’une simple « boulette ». Un « expert pédagogique », monsieur François Didier, IPR de Lettres, a donné son aval et le document a été relu par une personne qu’on peut considérer comme spécialiste. »

Nous aimerions bien savoir qui était ce « spécialiste » et quelle est la vision de l’histoire du Rwanda de monsieur François Didier.

Dans l’attente d’une réaction rapide « afin que la vérité soit rétablie », le président du CPCR rappelle que c’est ainsi qu’on « nourrit la thèse des négationnistes ou des tenants du double génocide si nombreux dans notre pays ».

Il nous semble également nécessaire de rappeler qu’il ne suffit pas de modifier la phrase incriminée - « le génocide des Hutu par les Tutsi au Rwanda » - pour aider les enseignants et les élèves du CNED à comprendre ce qui s’est passé au Rwanda, en 1994. On ne saurait en effet résumer le génocide perpétré à l’encontre de la communauté Tutsi rwandaise par « le génocide des Tutsi par les Hutu ».

Le génocide perpétré contre les Tutsi du Rwanda est un projet politique - encore défendu par de nombreuses personnes, y compris en France - qui a été pensé, préparé, planifié et réalisé, non par « les Hutu », mais par des personnes issues de la classe politique rwandaise, de l’armée, de l’administration, de l’église, ..., avec des soutiens - politiques, militaires, diplomatiques, financiers - en dehors du Rwanda, dont en France.

Si le groupe pris pour cible était clairement identifié par les tueurs et leurs complices, la communauté hutu dans son ensemble ne peut être qualifiée de génocidaire et n’a bien sûr pas adhéré à ce « nazisme tropical » qu’était le « Hutu Power ».

Ce genre de simplification douteuse, en plus de semer la confusion, d’entretenir un racisme qui ne dit pas son nom envers les populations africaines - forcément envisagée sous le prisme de leur appartenance ethnique, pour ne pas dire tribale - dilue les responsabilités.

Comme l’appelle de ses voeux le président d’Ibuka - lire ci-dessous - un programme complet d’enseignement de l’histoire des génocides, dont celui des Tutsi du Rwanda, semble plus que nécessaire au sein de l’éducation nationale française. C’est également la conclusion qui s’impose à la lecture de l’analyse des manuels scolaires effectuée par Jacques Schaff.


Les rescapé(e)s en appelle au Ministre

Dans une lettre, Marcel Kabanda, président d’Ibuka - association de rescapé(e)s du génocide des Tutsi - demande à Vincent Peillon, Ministre de l’éducation Nationale et à Serge Bergamelli, directeur général du CNED, de retirer de la circulation ce document négationniste et rappelle la nécessité que soit mis en place, en France, un programme complet d’enseignement d’histoire des génocides, dont celui des Tutsi du Rwanda.

Extrait de la lettre de l’association Ibuka :

Monsieur le Ministre,

Avec tristesse et indignation que nous venons d’apprendre que la prestigieuse institution du CNED enseigne depuis l’été dernier, partout dans le monde que le génocide perpétré au Rwanda en 1994 a été commis par les Tutsi contre les Hutu.

Dans un document diffusé par cette institution le 30 juin 2013 à l’intention des professeurs intitulé Français 3ème. Livret de corrigés, on peut lire sous le titre « Le souvenir peut permettre de déterminer les responsabilités et de rendre justice » :

« A ce titre, le génocide des Hutu par les Tutsi au Rwanda illustre bien ceci [...] Le fait de raviver Ie souvenir en rappelant Ia violence des exécutions à la machette, le régime de teneur, tout cela concourt à faire en sorte qu’une prise de conscience collective de l’horreur historique se développe ».

Le document prend ainsi délibérément le contrepied de ce qui a été déclaré comme un fait de notoriété publique par le Tribunal pénal international pour le Rwanda en 2006 : « un génocide a été perpétré au Rwanda contre le groupe ethnique tutsi ». Cette révision de l’histoire est d’autant plus grave que le manuel est une source d’enseignement pour le monde entier.

Nous sommes souvent confrontés à des courants négationnistes alliant le déni et la thèse du double génocide. Nous étions cependant loin d’imaginer qu’une institution officielle française puisse s’en faire écho à ce point.

Un manuel d’enseignement n’est pas un document qui s’élabore de n’importe quelle manière. Destiné à aider les professeurs, il doit s’appuyer sur les travaux à jour. Au regard du nombre d’ouvrages publiés en France sur le génocide des Tutsi, il est stupéfiant que l’éducation nationale en soit à enseigner de cruelles erreurs !
Ce manuel qui bafoue la mémoire des victimes est une honte pour nombre de jeunes français qui pendant ces dix dernières années ont publié d’excellentes thèses sur ce sujet. A quelles sources le CNED a donc-t-il puisé ?

Cette institution en-t-elle restée à la propagande de la diabolisation des Tutsi qui a précédé et accompagné le génocide ? Quels spécialistes ont été consultés ?
Le CNED ne se trompe pas sur un vol à l’étalage. Un génocide n’est pas un détail de I’Histoire.
Le Manuel du CNED transforme en bourreaux les victimes d’un génocide ! Elles sont outrageusement offensées.
Pourriez-vous vous imaginer un manuel dans lequel il serait écrit que les Juifs auraient été les auteurs de la Shoah ?

Est-ce parce qu’il a été commis en Afrique contre des Africains qu’il peut être traité avec autant de désinvolture et de légèreté ? Le sujet est sérieux. Si l’on ne peut lui accorder l’attention qu’il mérite, il vaut mieux se taire.

Au nom des rescapés du génocide des Tutsi, au nom de l’humanité qui a été souillée par ce crime, au nom de la communauté des chercheurs français dont je connais la qualité des travaux sur le sujet, nous vous demandons de :

1. Retirer de la circulation la totalité de l’édition ;
2. Publier dans un journal de référence un communiqué qui annonce ce retrait ;
3. Mettre en place en France un programme complet d’enseignement d’histoire des génocides, celui des Tutsi du Rwanda y compris.


[Mise à jour de la rédaction du 19/12/2013]

Le directeur du CNED répond…

Le Collectif des Parties Civiles pour le Rwanda publie la lettre envoyée par Serge Bergamelli, directeur général du CNED, que vous pouvez lire à cette adresse : http://www.collectifpartiescivilesrwanda.fr/le-directeur-du-cned-repond/

« J’ai décidé de prendre des mesures immédiates dont celle d’envoyer, dans les plus brefs délais, une nouvelle version du texte incriminé, accompagnée d’un courrier aux parents pour corriger cette erreur manifeste. »

Seule « une erreur manifeste » est reconnue, « aucun regret », s’indigne Alain Gauthier, quand Frédéric Artaud, directeur de l’enseignement scolaire au CNED joint par ses soins par téléphone le 17/12/2013, se disait « effondré » par cette « erreur monumentale » et ne savait pas « comment présenter (ses) excuses ».

L’essentiel reste que des mesures ont été rapidement prises par le directeur général du CNED.

Cette « erreur manifeste » nous rappelle cependant qu’il nous faut rester très vigilants sur le contenu des enseignements diffusés en France concernant le génocide des Tutsi du Rwanda...

— La rédaction

* : Le CNED, Centre National d’Enseignement à Distance, « assure, pour le compte de l’Etat, le service public de l’enseignement à distance. » — Extrait du décret 2009-238 du 27 février 2009.

A lire

Jacques Schaff, « Le génocide des Tutsi du Rwanda dans les manuels scolaires français de 1995 à 2008 », La Nuit rwandaise n°6 - 7 avril 2012, p. 45 à 130.

Acheter le numéro 6 de La Nuit rwandaise

Alain Gauthier, « Selon le CNED : le génocide des Hutu par les Tutsi… », CPCR, 16/12/2013.

Le site internet de la CEC : http://cec.rwanda.free.fr/actualite/actu-2013-12-01-et-jours-suivants.html

Le site internet du CNED : http://www.cned.fr/

Illustration : Logo du CNED - Centre National d’Enseignement à Distance

Bruno Gouteux est journaliste et éditeur —Izuba éditions, Izuba information, La Nuit rwandaise, L’Agence d’Information (AI), Guerre Moderne, Globales…—, consultant —Inter-Culturel Ltd— et dirige une société de création de sites Internet et de contenus —Suwedi Ltd.

Il est engagé dans plusieurs projets associatifs en France et au Rwanda : Appui Rwanda, Distrilibre, Initiatives et Solutions interculturelles (ISI), le groupe Permaculture Rwanda, Mediarezo

 19/12/2013

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