RDC : Fin de partie au Kivu ?

Michel Sitbon - 12/11/2013
Image:RDC : Fin de partie au Kivu ?

République Démocratique du Congo
où l’on joue à qui perd gagne…

La France coloniale a engrangé une victoire historique contre le M23, mais évite de s’en vanter.

Pourquoi ?

C’est qu’il s’agit là d’un triomphe du désir de tous de vivre en paix, qui a procuré à l’ONU et au régime de Kabila une légitimité inespérée, mais qui se trouve être rigoureusement contradictoire avec l’intention de départ de promouvoir la guerre et les divisions pour garantir la domination.

Pour que la paix s’impose vraiment, il faudrait maintenant que soit conclu un véritable accord et que le désarmement des FDLR ne soit pas un vain mot. Et que les réfugiés puissent quitter leurs camps et rentrer chez eux, pour que s’engage enfin le seul combat, urgent, contre la misère.

Il y a quelques jours, l’horrible Martin Kobler, qui dirige les opérations militaires onusiennes dans l’est du Congo, claironnait sa victoire, le M23 étant, selon lui, militairement « quasiment » anéanti.

Suggérons ici que ce soit paradoxalement l’inverse qui se serait produit : depuis plusieurs mois, la très prudente tactique de Sultani Makenga, qui dirigeait les opérations militaires du M23 avec un sang froid et une compétence remarquables, était parvenue à ce résultat incroyable, de résister sans trop subir de dégâts bien que confronté à des forces incomparablement supérieures qu’il parvenait à repousser systématiquement. En dépit de quoi, il n’en aura pas moins été pulvérisé en deux temps trois mouvements… Comment en est-on arrivé là ?

C’est en juin dernier que Martin Kobler était désigné comme représentant spécial de l’ONU en République démocratique du Congo. En même temps que lui, arrivaient les premiers éléments de la brigade offensive décidée par le Conseil de sécurité quelques mois plus tôt, en mars. Ainsi, « pour la première fois », a-t-on dit et redit, les forces de maintien de la paix de l’organisation internationale se dotaient de moyens offensifs. Les forces de maintien de la paix devenant des forces de mise en œuvre de la guerre…

On se souvient que c’est au même moment que nous avons pris l’initiative de cette agence d’information, très inquiets de voir que de telles évolutions s’inscrivaient de surcroît dans le contexte d’exacerbation du racisme anti-« Tutsi-Rwandais-rwandophones-allogènes » mis en musique par l’horrible Lambert Mende, ministre de la propagande raciste de Kabila-fils, dans la foulée de l’effroyable Abdulaye Yerodia qui remplissait les mêmes fonctions jadis auprès de Kabila-père.

A l’abri de ce lourd parapluie idéologique, Martin Kobler a pu aligner ses forces sans complexes. La brigade offensive aura vite un début de réalité avec mille hommes de l’armée tanzanienne qui arrivaient sans faire mystère de leur intention de renforcer là les FDLR – le Front Démocratique de Libération du Rwanda –, soit ce qu’il reste, vingt ans après leur installation dans la région, des forces génocidaires repliées au Kivu, après avoir exterminé les Tutsi du Rwanda, avec l’aide de l’armée française.

La dite brigade d’intervention offensive était également constituée de troupes malawites, qui tarderont à arriver, et de troupes sud-africaines surtout importantes pour les gros hélicoptères d’attaque qu’elles apportaient afin de compléter la flotte congolaise. Pour simplifier les choses, celle-ci repeindra ses appareils aux couleurs de l’ONU... Des analystes militaires faisaient observer qu’il s’agissait là en tous points des mêmes hélicoptères, pilotés de fait par les mêmes mercenaires, généralement ukrainiens.

S’ajoutait au dispositif de Kobler quelques furieuses milices Maï-Maï, également proches des FDLR, et bien sûr les divisions d’« élite » des FARDC, préparées et entraînées à grand frais par les Etats-Unis et la Belgique – surtout fameuses jusque-là pour leurs compétences en matière de pillage et de viols massifs, comme à Minova en décembre dernier.

On ne saura pas combien d’hommes ont été envoyés au combat, mais sur la papier Martin Kobler disposait d’une armada impressionnante. Aux 20 000 hommes de la très dispendieuse Monusco que l’Onu entretient en RDC depuis des années, il pouvait ajouter la centaine de milliers d’hommes de l’armée de Kabila, et les quelques milliers de FDLR et Maï-Maï dont l’effectif est très élastique. Au résultat, tout ça s’est avéré singulièrement inefficace, s’épuisant, bataille après bataille, escarmouche après escarmouche, les hommes de Makenga s’amusant à démontrer leur supériorité sur un terrain qu’ils maîtrisaient mieux que personne.

Le comble sera atteint lors de la grande bataille de la fin août, précédant l’ouverture des négociations, où de multiples sources ont fait état d’un véritable massacre des forces onusiennes, FDLR, Maï-Maï et autres FARDC. Ceux-ci prétendant néanmoins le contraire.

Mais, quoi qu’il soit arrivé sur le terrain, Kobler disposait d’un atout contre lequel le M23 ne pouvait pas grand chose : sa flotte de gros hélicoptères d’attaque pilotée par des mercenaires prêts à tout. On ne tardera pas à avoir des illustrations éloquentes de ce que pouvaient ces redoutables hélicos. Ils serviront en fait d’exutoire, se déchaînant contre les civils à chaque déconvenue au sol, comme en juillet, sur un paisible village, causant gratuitement une quinzaine de morts, femmes et enfants compris.

Tellement de méchanceté semblait incompréhensible, mais, couvert par une presse mondiale remarquablement clémente, Kobler et ses forces de « maintien de la paix » criminelles pouvait s’y adonner en toute quiétude. Ce jour-là, le communiqué du M23 dénonçant le massacre ne sera même pas répercuté immédiatement par l’Agence d’information, tant cela semblait incroyable. On finira par comprendre que les hélicos de Kobler avaient prévu une attaque surprise sur la grande base militaire du M23 à Rumangabo, mais la surprise ayant été éventée, ils arriveront sur un camp déserté, et ce serait par dépit que les mercenaires fous furieux embauchés par les FARDC et l’ONU s’en seront pris au malheureux village à quelques kilomètres de là.

Beaucoup plus incompréhensibles encore, les fameux bombardements de Goma, dont les premiers remontent avant l’été. Imputés systématiquement au M23 y compris en dépit de l’évidence. On verra bien que ce dernier n’y était pour rien lorsque s’y ajouteront les bombardements de Gisenyi, en territoire rwandais. Cette provocation — qu’on attribue aux FARDC, mais qui bénéficiait forcément de l’aval de l’ONU qui dirigeait les opérations –, ne peut s’interpréter que dans le contexte du désir de revanche sur leur défaite de 1994, qui anime aussi bien les FDLR que leurs amis français aux commandes du dispositif.

Bombarder Goma pouvait sembler tout bonnement insensé – une armée bombardant la ville qu’elle est expressément chargée de protéger, et où elle est cantonnée… –, mais prenait tout son sens si on pouvait l’attribuer au M23… Dès le début, il allait de soi que la moindre enquête un peu sérieuse établirait l’origine des tirs, et Kabila comme Kobler et tutti quanti se seraient trouvés bien embêtés avec une telle incrimination... Oui, mais il n’y aura pas d’enquête.

Le « Mécanisme de Vérification » international dédié précisément à « vérifier » les faits dans un environnement où certains s’amusent depuis longtemps à les falsifier de la façon la plus éhontée, sera simplement désactivé pour la circonstance, Kabila déclarant persona non grata l’officier ougandais qui dirigeait cette commission regroupant des militaires d’une dizaine de pays de la région, tous considérés comme suspects par Kinshasa, entre autre pour avoir eu le mauvais goût d’établir qu’un premier bombardement du Rwanda, en juillet, provenait bien des batteries des FARDC. Quant à Goma, ou Gisenyi d’ailleurs, le « Mécanisme de vérification » n’aura jamais eu l’occasion de « vérifier » les déclarations des FARDC ou de l’ONU, cette dernière prétendant faire valoir son impartialité alors même qu’elle était non seulement une des parties, mais engagée au front.

L’enchaînement des faits permet de comprendre que ces bombardements intervenaient pour masquer les revers militaires, en criminalisant l’adversaire. Chaque défaite sur le terrain se transformait ainsi aussitôt en « succès » médiatique, légitimant la reprise de l’offensive en quelque sorte – car quelles que soient les pertes qu’il pouvait enregistrer, Kobler ne manquait pas de réserves, mais dansait sur une corde raide tant le caractère strictement colonial de l’intervention pouvait à tout moment se retourner contre lui.

En dépit de la complaisance des médias, la nature même de son corps expéditionnaire, constitué d’un ramassis de criminels aussi identifiés que les FDLR, comme les divisions les plus compromises des FARDC, ou leurs amis Maï-Maï, risquait à tout instant de faire scandale. Que tout ça soit piloté par des Français dans la droite ligne de leur intervention au Rwanda au début des années 90, voilà qui n’arrangeait pas le tableau. Il était ainsi impératif de maintenir constamment la pression diabolisant le M23, pour que l’opération puisse se dérouler tranquillement, à l’abri de la légitimité totale qu’il peut y avoir à combattre une aussi flagrante « force négative » qu’un groupe capable de bombarder gratuitement une ville pleine de civils. Loin d’être l’allié des génocidaires, Kobler endossait aussitôt l’habit de défenseur du peuple.

Ainsi, jusqu’à la fin, la rhétorique de Kabila-Kobler permettra d’imputer au M23 ces crimes qu’ils commettaient eux-mêmes, et ces auto-bombardements à répétition produiront le résultat extraordinaire d’une victoire politique annulant une défaite militaire. Pendant que, sur le terrain, les troupes de Kobler se cassaient les dents sur la résistance du M23, dans les airs, ses hélicos semaient assez de confusion pour remporter haut la main la bataille médiatique.

Militairement, la stratégie était simple : quels que soient les revers, on faisait monter de degrés les offensives successives. Mais ce qui était redoutable, c’est qu’à chaque fois les troupes de Makenga parvenaient à s’en sortir brillamment, aussi forte que soit l’offensive qu’ils aient eue à subir, indemnes après les plus lourds bombardements qu’ils passaient à l’abri de grottes, parvenant de plus systématiquement à infliger des contre-offensives foudroyantes à leur adversaire pourtant infiniment supérieur mais incapable de prendre le contrôle d’un terrain qu’il ne maîtrisait pas.

Fin août, la plus chaude bataille avait permis au M23 de repousser les troupes de Kobler jusqu’aux faubourgs de Goma, mais il ne pouvait être question de reprendre la ville, et, rassurés par sa démonstration de force, le M23 décide de se retirer, et même de reculer ses lignes de cinq kilomètres, pour qu’une enquête internationale puisse finalement procéder aux expertises balistiques permettant d’imputer les bombardements à leurs véritables auteurs. On comprend que la direction du M23 sentait bien que tous ses succès militaires ne serviraient à rien tant qu’ils ne parviendraient pas à délégitimer les méthodes de leurs adversaires, responsables de ces bombardements. Cela pouvait sembler la moindre des choses qu’on leur accorde en échange de leur retrait volontaire une simple commission d’enquête afin d’expertiser cette question litigieuse.

D’expertise, il n’y aura pas plus, les affirmations de Kobler suffisant à entraîner la réprobation universelle. Les bombardements répétés du Rwanda, non sans victimes, semblaient alors devoir provoquer une intervention de celui-ci pour y mettre un terme. Kigali avait commencé à masser troupes et chars à la frontière, et le péril de « l’internationalisation du conflit » suscitera l’initiative de Kampala de forcer la réouverture des négociations, Museveni demandant à Kagame d’engager plutôt des pourparlers.

Répondront alors à l’appel de Museveni, aussi bien Kikwete, le président tanzanien qui ne s’était montré jusque-là qu’extrêmement belliqueux – et chaud soutien des FDLR –, que Kabila, dont la propagande ne cessait de répéter qu’il fallait en finir militairement et qu’il n’y avait rien à négocier avec le M23. De toute évidence, la démonstration de force du M23 avait servi au moins à ce que les négociations se réouvrent en dépit des rodomontades de Kinshasa.

La réunion des chefs d’Etats laissa la place aux rencontres entre parties belligérantes, M23 et Kinshasa. On constatera d’abord comment ces négociations étaient ouvertes sans l’être, la délégation du gouvernement de RDC refusant de rencontrer celle du M23, des émissaires ougandais faisant le lien, jusqu’à ce que finalement de véritables discussions commencent, avec la participation de multiples représentants de l’ONU, parmi lesquels un général français dont on dit qu’il était en fait le véritable patron de la délégation congolaise... On le voit au deuxième rang sur la photo où trônent Kobler et Mary Robinson, l’envoyée de Ban Ki Moon.

On a finalement identifié ce général français qui apparaît sur les photos : il s’agit du général Jean Baillaud, officiellement bras droit du général Santos Cruz, commandant la brigade, mais véritable patron y compris des FARDC, à tel point qu’il pouvait ainsi apparaître comme négociateur pour le compte de Kinshasa. Le général Baillaud est aussi l’auteur de réflexions sur la stratégie à adopter dans l’est du Congo, comme lors d’un séminaire qui s’est tenu… en 2010, où il intervenait comme principal exposant, et où l’on relève que sa vision était pour le moins « prophétique », appelant à un « maintien “robuste” de la paix », un concept inauguré depuis quelques années par Jean-Marie Guéhenno, qui aura été patron des forces de maintien de la paix de l’ONU jusqu’en 2008.

De ces négociations de Kampala, pas grand chose ne filtrera, mais l’Agence d’Information aura droit à quelques confidences sur ses apartés, comme cette phrase savoureuse du ministre des affaires étrangères de Kabila, Raymond Tshibanda – fameux par ailleurs pour avoir voulu expliquer au Conseil de sécurité que tous les adversaires de Kinshasa portaient la même « signature ethnique » –, qui voulait bien reconnaître au négociateur du M23, René Abendi, qu’il pouvait avoir raison, mais que cela ne changerait rien car le M23 ne parviendrait jamais à rattraper son retard dans l’opinion publique…

Vu d’ici, du point de vue de cette agence d’information – qui aura essayé tout l’été de rembobiner les kilos d’idées reçues qui se sont imposées dans la tête de tous quasi planétairement, au Congo comme ailleurs –, la remarque de Tshibanda ne pouvait que nous laisser songeurs. J’ai encore sur mon établi le livre de Pierre Péan, Carnages, dont je me suis promis de faire une critique en règle – qui attend toujours, depuis sa parution en 2010.

On y trouve dès la première page, en note, l’aveu de sa méthode pour compter les « plus de six millions de morts » qu’il y aurait eu en RDC depuis 1998 et qu’il impute globalement au Rwanda – mais aussi au CNDP de Laurent Nkunda et qui, par glissement, sont aujourd’hui à la charge du M23. « Des morts essentiellement dues à la maladie et à la malnutrition provoquées par la guerre. » Ce sont là, explique-t-il, « “des morts en plus”, c’est-à-dire calculés par rapport à une mortalité normale s’il n’y avait pas eu de guerre ».

La manœuvre est fine : il met ainsi en balance le million de morts exterminés par le « hutu power » en 1994 au Rwanda, à l’arme blanche ou lourde, avec des morts dues à une supposée dégradation des conditions sanitaires et de la sécurité alimentaire en raison de la guerre qui aurait, fait elle, selon le même comptage, deux à trois cent mille victimes quand même, mais pas plus de 5% du total dénoncé par Péan et consorts. D’imputer la totalité de la mortalité induite par un conflit à une des parties pourrait déjà sembler critiquable. D’ajouter les morts indirectes est carrément original. (On compte 9 millions de morts de la 1ère guerre mondiale, auxquels on n’ajoute pas d’ordinaire les 30 millions de morts de la grippe espagnole qui s’ensuivit…)

Mais c’était normal dans la logique de Péan où les Rwandais étaient des envahisseurs, auxquels tous les torts devaient être imputés. Qu’il se soit agi alors d’une guerre de libération, contre la dictature néo-coloniale de Mobutu, dans le prolongement d’une autre guerre de libération, contre une autre dictature néo-coloniale, au Rwanda, et que tous les mercenaires de la Françafrique n’aient pas suffi alors à sauver Mobutu, perdant à plate couture la bataille de Kisangani, Péan fait mine de l’oublier.

Il n’en reste pas moins que des démographes belges se sont inquiétés de cette affirmation énorme qui voudrait qu’il y ait eu au Congo une guerre faisant « le plus grand nombre de victimes civiles depuis la IIème guerre mondiale », selon Péan. Ils ont été vérifier les courbes de mortalité pour s’apercevoir qu’elles n’ont dramatiquement pas bougé des années cinquante à nos jours, et que, dans la période envisagée, tout au plus peut-on constater une insignifiante augmentation de l’espérance de vie qui plafonne toujours scandaleusement en dessous de 50 ans.

Voilà des mois que nous attendons un article détaillé sur le sujet, mais notre collaborateur chargé du dossier aura été requis par d’autres travaux, et oui Raymond Tshibanda a raison, il y avait bien trop de retard dans l’opinion publique pour que la guerre soit gagnable d’aucune façon – et reconnaissons que, par exemple, les faibles moyens de notre agence d’information n’auront pas contribué à éclaircir le paysage médiatique autant qu’on l’aurait souhaité. Les contre-vérités inculquées par mille sirènes, comme dans des documentaires américains très bien faits qui ont beaucoup circulé ces derniers temps – entre autres bijoux de désinformation –, sont parvenues à coloniser totalement la conscience planétaire.

On aura, par exemple, essayé ici de démontrer l’instrumentalisation abjecte des viols. Alors que l’ONU s’associait aux troupes de Kabila et aux FDLR et Maï-Maï responsables de ces crimes, avec les mêmes divisions d’élite des FARDC identifiées comme responsables du dernier épisode de viols massif, à Minova, en décembre dernier. Unités des FARDC qui étaient encore en première ligne sous protection onusienne, pour attaquer le M23 lequel – comme le CNDP dont il est issu – est né précisément du besoin des populations civiles d’être protégées contre ces viols et l’insécurité générale que les forces génocidaires des FDLR font régner dans la région depuis vingt ans avec l’aide de l’armée kabiliste.

Après tant d’années de savantes constructions pour en arriver au triomphe d’un tel paradoxe, on ne pouvait que mesurer l’impuissance de toute démonstration à rétablir les évidences, à l’heure où Angelina Jolie elle-même, en tant qu’ambassadrice extraordinaire de l’ONU, venait exhorter le Conseil de sécurité à engager l’action la plus déterminée pour combattre les violeurs, donnant en quelque sorte sa feuille de route à Martin Kobler qui était au même moment en train d’aligner son dispositif offensif en s’associant aux responsables de ces viols qu’il aurait plutôt dû poursuivre...

On a vérifié la force de ces paradoxes quand les troupes de Kabila ont pu se permettre d’entrer dans Bunagana en libérateurs, la fête durant « jusqu’aux premières pluies à la tombée de la nuit », selon RFI… La même population qui se félicitait de bénéficier de la zone de paix que pouvaient assurer les hommes de Nkunda jadis et de Makenga aujourd’hui, ne pouvait, en fait, que sincèrement bondir de joie à l’idée d’une légitimité retrouvée où l’ordre international prétend enfin remplir sa fonction de garant de la paix.

La bataille aura été en fait perdue à Kiwanja, où des sympathisants des FDLR sont implantés depuis toujours, et où il n’a été que trop facile, dans le contexte du début de retrait du M23, d’allumer un foyer d’opposition interne à sa zone. C’est ainsi que la guerre n’aura pas été perdue « militairement », comme le voudraient Kobler et Kabila, mais bien politiquement, tant leur point de vue est devenu simplement hégémonique, au sens gramscien du terme.

Le vrai basculement, véritable changement de paradigme, se sera produit avec la simple mise en avant du drapeau de l’ONU, et pas seulement son drapeau, mais ses soldats tanzaniens, sud-africains ou malawites, et ses hélicos, sud-africains et kabilistes confondus, avec Martin Kobler et sa détermination totale à éradiquer le M23. D’un instant à l’autre, l’ONU s’est métamorphosée, quittant l’habit de l’éternelle impuissance, pour endosser celui de l’action efficace.

Connue jusque-là comme l’empire du bla bla, l’ONU était moquée universellement encore la veille. Ainsi à Kinshasa encore il y a quelques mois, où des femmes venaient danser devant les bureaux de la Monusco, ridiculisant en quelque sorte le déficit de virilité des gardiens de la paix… Avec la Brigade offensive appelée de leurs vœux par Jacques Chirac et une tripotée de notables, pour la première fois l’ONU prouve qu’elle n’est pas un simple clairon, mais aussi un sabre. Ainsi, de la parole à l’acte, il peut y avoir continuité ; il suffirait de le vouloir. Il y a là l’esquisse d’une révolution considérable : l’ONU cesserait d’être le ministère des vœux pieux pour devenir un véritable gouvernement de la paix...

Quelle qu’ait pu être la mauvaise foi de la méthode mise en œuvre – usant même du moyen infâme de bombardements inavouables, et serinant jour après jour la plus infecte propagande guerrière –, dans le contexte d’ensemble des années d’intoxication générale du public – où le livre de Péan a marqué un temps fort –, à travers tous ces tortueux méandres où l’ONU aura assumé de s’emparer du discours de la guerre, ce qui triomphe aujourd’hui, c’est un principe de légitimité, l’indiscutable légitimité universelle de l’ONU dès lors qu’elle prétend remplir effectivement son mandat.

Le peuple du Kivu qui acclame aujourd’hui le triomphe de Kabila-Kobler a-t-il tort ? Ce n’est pas sûr. Le principe de légitimité qui triomphe est tel que depuis des semaines déjà on entend l’ONU se défendre de n’en vouloir qu’au M23, et rappeler qu’elle est là pour désarmer les FDLR aussi. Dans son discours triomphal, Kabila en a appelé de même au désarmement des FDLR et d’autres, avec tant d’énergie qu’on pourrait le croire.

Car, par delà toutes les rhétoriques, tout le monde est bien d’accord, c’est de paix et de stabilité qu’il faut, et d’urgence, pour le bien de la RDC mais aussi du reste de la région, ainsi que le rappelait Museveni en ouvrant les négociations de Kampala. En dépit de l’incurie totale de ses gouvernants tout juste bons à s’abriter derrière les délires d’une propagande raciste, le misérable Zaïre de Mobutu connait aujourd’hui, sous lé férule de l’incapable Kabila un taux de croissance de près de 10%. Le Rwanda de même, sous une gestion au contraire plutôt remarquable d’efficience, crédible lorsqu’elle promet la 4G sur l’ensemble du pays des mille collines pour l’année prochaine. C’est de prospérité et de santé publique qu’a besoin le Kivu, pas de guerre.

Tous les observateurs pouvaient convenir, jusqu’à aujourd’hui, du fait que la légitimité du régime de Kabila était proche de zéro, ainsi qu’il a pu le vérifier, cet été, en organisant des « concertations nationales » à laquelle était convié l’essentiel des acteurs politiques du pays. Or ce qui triomphe aujourd’hui, c’est paradoxalement précisément ce principe de légitimité de l’Etat dont celui-ci était si dépourvu la veille… Le prodige de cette victoire totale offerte survient par cet autre prodige d’une légitimité onusienne parvenant à s’imposer, l’ONU disposant elle-même de bien peu de crédit jusque-là.

Moins par moins égal plus, apprend-on à l’école. Le principe se vérifierait, si l’on n’avait pas au contraire là une manifestation de la résilience extraordinaire de certains principes de légitimité. Kabila engrange tout le crédit de l’Etat légitime, comme rénové, alors que l’Onu réussit là peut-être sa plus belle opération, où le principe de légitimité universelle s’est imposé par lui-même, sans coup férir dira-t-on, car en dépit de ses échecs militaires qu’il est même permis de présenter en victoire tant ce triomphe est splendide, et les aléas de la guerre, y compris ses bavures, sont sans importance dans le contexte de ce prodige.

Ne rêvons pas trop : pour que ceci ait une chance d’aboutir, il faudrait que l’intention déclarée de désarmement généralisé soit effectivement mise en œuvre. Dans l’élan, c’est plus que pensable : cela coulerait de source. On n’y est toujours pas néanmoins, car cela supposerait au passage que les stratèges de la Françafrique, aient l’humilité qu’impose un tel triomphe et remballent leur panoplie raciste, dont l’Afrique n’a que faire, et comprennent enfin qu’il n’y a là ni des hutus ni des tutsis, ni des ceci ni des cela – 500 ethnies en RDC ? –, mais un peuple qui aspire au bien être comme tous.

Relevons la discrétion du triomphe des stratèges français, mais rendons-leur hommage, à tous ces effroyables incendiaires, de Jacques Chirac à François Hollande, qui avait délégué à cet effet Valérie Trierwieler, sans oublier Yasmina Benguigui, et tant d’autres, tel Hervé Ladsous, l’inénarrable chef des Forces de maintien de la paix de l’ONU – le patron de Kobler comme de Baillaud –, l’homme qui aura orchestré toute cette opération, ou le commandant de la brigade offensive, le général brésilien Santos Cruz, formé à l’école militaire française – dont des sources proches du ministère de la défense belge nous révélaient qu’en plus d’être « secondé » par le général Baillaud, il entretenait de si bonnes relations avec ses anciens condisciples que la grande bataille de la fin août se serait faite en coordination avec l’état-major parisien boulevard Saint-Germain...

Si en Algérie ils avaient gagné la guerre militairement, au prix de l’effroyable gâchis que l’on sait, et finalement perdu politiquement, si au Rwanda ils auront perdu militairement et politiquement, au prix du génocide des Tutsi, là, ils auront « perdu » militairement, somme toute à moindre prix, mais triomphé politiquement – et y compris militairement, à l’heure du désarmement du M23 provoqué par l’enchantement de ce triomphe politique. Mais cette victoire politique est surtout celle du droit, du droit qui s’impose à tous et instaure la paix. Car, convenons avec Péan que la première urgence, c’est d’établir des conditions sanitaires telles que l’espérance de vie ne soit plus une moquerie et qu’il n’ ait plus de « morts en plus ».

Le M23 demandait le désarmement des FDLR, comme condition à son propre désarmement, ainsi que le retour des réfugiés que la paix permettrait, et rien de plus que ce que tout le monde souhaite : qu’on s’en prenne au véritable ennemi, la pauvreté. Aujourd’hui, s’il se désarme par lui-même, c’est à tous de prendre en charge son programme. Jouant jusqu’au bout à qui perd gagne.

Pour qu’une nouvelle ère s’ouvre sur la base de cette victoire paradoxale, il suffirait maintenant d’un peu d’intelligence, et que l’empire néo-colonial, intact après un demi-siècle d’indépendances, comprenne qu’il y a plus à gagner dans la paix que dans la misère.

Michel Sitbon

L’Agence d’Information

Nous apprenons aujourd’hui [http://www.lagencedinformation.com/050-silence-on-tue.html] que l’on a relevé de très nombreux actes de type manifestement génocidaires qui ont pris place au Kivu depuis le retrait du M23, et que ceux-ci se sont multipliés les tout derniers jours.

On recevait en fin de journée aujourd’hui des informations circonstanciées sur plus d’une dizaine de cas d’assassinats ou de viols. Le M23 a lourdement hésité avant de décider de se rendre justement parce qu’il craignait que de telles choses se produisent, que c’était sa fonction d’empêcher jusque-là. Il se sera finalement soumis aux desiderata de la « communauté internationale » dans l’espoir qu’un réel accord soit conclu et que tout aille pour le mieux.

On a même vu des négociateurs du M23 penser qu’ils avaient « gagné », et ainsi que le papier ci-dessus en atteste, on n’était pas loin de la même analyse ici. Il est à craindre aujourd’hui qu’en formulant l’espérance que s’instaure un ordre pacifique on ait pêché par optimisme. Car si les faits qu’on constate se confirmaient, et s’il se confirmait que des soldats de l’ONU – tanzaniens et sud-africains – commettent eux-mêmes ces crimes et laissent les soldats de Kabila en commettre sous leurs yeux sans intervenir alors qu’au contraire des cas précédents, en Bosnie et au Rwanda, ils ont le pouvoir de le faire, ce n’est pas l’ordre mondial de la paix qu’on voit naître là, mais son contraire, l’ordre mondial génocidaire !!!

Le crime légitimé… L’horreur absolue : des hommes, des armées, à qui la communauté internationale aura donné le permis de tuer des civils !

Michel Sitbon dirige les éditions de l’Esprit frappeur, Dagorno et les éditions du Lézard.

Il est le fondateur des journaux Maintenant, État d’urgence, Le Quotidien des Sans-Papiers et du site d’information Paris s’éveille.

Il est également l’auteur du livre « Rwanda. Un génocide sur la conscience » (1998).

Il est directeur de publication de « La Nuit rwandaise » et membre de l’association France Rwanda Génocide - Enquêtes, Justice, Réparation.

Michel Sitbon est également le porte parole du Collectif contre la Xénophobie et de Cannabis Sans Frontières - Mouvement pour les libertés.

 12/11/2013

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