Le courage de Sœur Milligitha Koïser

Jean-Claude Ngabonziza - 27/05/2011
Image:Le courage de Sœur Milligitha Koïser

Rwanda : un ange dans la nuit ténébreuse de 1994
« elle a sauvé en tout 99 personnes, essentiellement des enfants »

D’avril à juillet 1994 le ciel du Rwanda a été assombri par une tragédie sans précédent.

Les atrocités commises durant ces trois mois sont d’une ampleur et une violence indescriptible.

Mais à travers ces nuits ténébreuses, il y a eu des anges méconnus du public, dont l’un des plus flamboyants est Sœur Milligitha Koïser de la congrégation des Sœurs de la miséricorde.

Le courage de cette femme mérite d’être inscrit en lettres d’or dans l’histoire. Aujourd’hui septuagénaire, elle est originaire du diocèse de Münster en Allemagne. Quand le génocide des Tutsi débuta en avril 1994, elle habitait au Rwanda depuis 19 ans. Elle était alors responsable du centre de santé communautaire de Kaduha.

L’histoire du génocide de 1994 contient quelques épisodes exceptionnels. L’expérience de Sœur Milligitha en est une.

L’extermination des Tutsi à la paroisse de Kaduha où était cette religieuse a débuté le 21 avril 1994.

Exaspérée, cette brave femme ne se laissa pas abattre par la stupeur, malgré la cruauté inhumaine dont elle était témoin oculaire.

Chaque soir, accompagnée de quelques uns de ses ouvriers qui lui ont tenu compagnie durant cette période de désolation, elle allait rechercher parmi les corps entassés ceux qui agonisaient.

Elle ramassait tous ceux qui respiraient encore et allait les soigner dans son centre.

Grâce à cette action courageuse et héroïque, elle a sauvé en tout 99 personnes, essentiellement des enfants.

Le 10 juin 1994, un sous-préfet accompagné de militaires de l’ancien régime vinrent l’avertir que l’Armée Patriotique Rwandaise (A.P.R) s’approchait et que sa vie risquait d’être en danger. Elle décida alors de quitter les lieux.

Mais réalisant que les gens qu’elle avait sauvés pouvaient être tués, elle alla d’abord chercher l’aide de la Croix-Rouge et de l’organisation Terre des hommes (une ONG italienne) à qui elle confia les personnes qui étaient sous sa protection. Le 23 juin 1994, ces personnes sauvées par Sœur Milligitha furent évacuées vers le Burundi (un pays voisin du Rwanda).

Ce transfert fut facilité par l’arrivée des militaires français de la mission turquoise.

Quand Sœur Milligitha apprit la libération du pays, elle quitta aussitôt son Allemagne natale et revint au Rwanda.

Le 15 mai 2011, les personnes sauvées par Sœur Milligitha se sont données rendez-vous à Kaduha pour la remercier. Les retrouvailles furent très émouvantes comme on peut se l’imaginer. Cette visite était aussi déchirante, car les membres de la délégation revenaient non loin des lieux où les leurs ont été exterminés.

La plupart de ces personnes arrachées à la mort fondirent en larmes en découvrant les photos prises au moment de l’intervention courageuse qui a sauvé leur vie. Très émue, Sr Milligitha demanda qu’en guise de prière on chante le Magnificat car, a-t-elle expliqué, c’est la chanson chantée par la foule des Tutsi avant leur extermination par des miliciens enragés.

Cet événement unique fut caractérisé par une joie douloureuse tant au début qu’à la fin. Aussi paradoxale que cela puisse paraître, c’est un plaisir difficile à supporter.

Philippe Gaillard, l’ancien chef de délégation du CICR a confié à un journaliste qu’il ne retournerait plus jamais au Rwanda, parce qu’il ne voulait pas rencontrer ceux qu’il a sauvés.

C’est trop beau, mais c’est insupportable a-t-il expliqué les larmes aux yeux.

D’après un rapport officiel datant de novembre 2002 : « Le génocide des Tutsi a coûté la vie à 1.074.017 victimes dont 934.218 nommément identifiées »[1].

___

Notes :

Ministère de l’Administration, de l’Information et des Affaires sociales, Rapport final, Novembre 2002.
La différence vient du fait que, pour certaines victimes, notamment les très jeunes enfants, on n’a pas pu reconnaître leur identité complète.
Elles étaient connues sous leurs surnoms tels que « Bébé, Fiston, Fillette,… » ; D’autres étaient des vieilles personnes connues comme « Grand Père, Mzee (=Vieux), Mukecuru (=Vieille),… »


Ce texte est également disponible sur le site de Golias via le lien suivant : http://golias-news.fr/article4979.html

Illustration : Rwandan children at Volcans National Park, par Sarel Kromer, (Wikipedia).

Jean-Claude Ngabonziza est le correspondant pour l’Amérique de la revue Golias.

Il est également un collaborateur régulier de la revue La Nuit rwandaise.

 27/05/2011

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