Éléments d’analyse critique du Rapport Mapping de l’ONU

La rédaction - 4/10/2010
Image:Éléments d'analyse critique du Rapport Mapping de l'ONU

« sentiment d’indignation et de profonde injustice »
La théorie négationniste du « double génocide »

La lecture de ce Rapport Mapping de l’ONU, qui se veut « un premier pas vers un exercice de vérité, parfois douloureux, mais combien indispensable », a suscité un sentiment d’indignation et de profonde injustice dans la conscience des populations rwandaises.

Surtout chez les survivants du génocide des Tutsi en 1994.

Ce qui est parfaitement compréhensible.

Ce rapport se permet de porter des accusations gravissimes, notamment contre les Forces armées de nombreux Etats africains, impliqués dans les conflits de la région des Grands Lacs, de 1993 à 2003. L’APR (l’armée patriotique rwandaise) et ses alliés de l’AFDL (l’Alliance des forces démocratiques de libération de Laurent-Désiré Kabila) sont particulièrement visées dans ce rapport et accusées d’actes qui, s’ils sont établis, pourraient être qualifiés de « crime de génocide ».

Les experts internationaux, qui ont mené les enquêtes en RDC et abouti à de telles conclusions, ont-ils été guidés par le seul souci de combattre l’impunité des crimes commis contre le droit humanitaire international ? Cherchaient-ils uniquement à promouvoir la justice en faveur des victimes et, éventuellement, à leur garantir le droit à des réparations équitables ? On est, malheureusement, en droit d’en douter.

Le doute et la suspicion sur les véritables objectifs de ces experts-enquêteurs s’insinuent inévitablement dans l’esprit, quand on sait que, pour la plupart, les auteurs de ce Rapport Mapping sont originaires des pays européens ou d’Outre-Atlantique. Les représentants donc du système de démocratie à l’occidentale et de sa conception des violations des droits de la personne humaine.

Ils sont, de ce fait, les héritiers d’une culture et d’une histoire spécifiques, propres à leurs différents pays d’origine. Une histoire constamment ponctuée de conflits armés, de crimes contre l’humanité, de crimes de guerre et de violations des droits de la personne, qui, une fois dûment établis, sont susceptibles de coller à la notion de crime de génocide. Si la volonté de faire passer la justice en faveur des victimes, de mettre un terme à l’impunité des auteurs de telles violations flagrantes était l’unique mobile des auteurs de ce rapport du Haut Commissariat des Droits de l’Homme de l’ONU, comment se fait-il que ses promoteurs n’ont pas d’abord commencé leurs investigations à partir des faits similaires, souvent bien plus graves, qui ont peuplé l’histoire de leurs propres pays ?

Avant de vouloir nettoyer les écuries d’Augias dans les pays africains impliqués dans ce conflit dévastateur de la RDC, la logique la plus élémentaire aurait dû commander à ces croisés de la protection des droits de la personne humaine qu’ils s’efforcent, pour commencer, de balayer les souillures de l’histoire de leurs pays d’origine. Leur démarche ensuite n’en serait que plus crédible.

Que les enquêteurs, chargés d’élaborer le Rapport du Projet Mapping de l’ONU, soient d’origine européenne, américaine, asiatique ou australienne, peu importe. Leurs pays et leurs continents ont connu des conflits armés, des guerres coloniales, des expéditions et des trafics esclavagistes qui ont fait bien plus de victimes que les dix ans d’affrontements sanglants en RDC dont le rapport de l’ONU dresse un bilan accablant.

Une question préalable, de toute évidence, s’impose à l’esprit. De quel droit et sur quels principes se fonde la légitimité d’une enquête, même commanditée par un organe de l’ONU, lorsqu’elle se limite uniquement à inventorier les violations du droit humanitaire, perpétrées dans la région des Grands Lacs africains ? Surtout quand on se garde jalousement d’exercer le même regard scrutateur sur les violations de nature comparable, parfois même de dimensions plus exorbitantes, qui ont été perpétrées notamment dans le courant du dernier siècle et les débuts de ce vingt-et-unième siècle, entre autres, par les armées de leurs propres pays.

Qu’on ne vienne pas nous faire croire que la conduite des opérations militaires, durant la seconde Guerre mondiale, par exemple, était scrupuleusement respectueuse des populations civiles. Les bombardements alliés sur Dresde, en Allemagne, ont fait plus de victimes, - en majorité des civils, femmes, enfants et vieillards – que la bombe atomique d’Hiroshima. Ni dans un cas, ni dans l’autre aucun officier britannique ou américain n’a été cité à comparaître devant la justice internationale et, encore moins, devant la justice de son pays pour violation des droits de la personne. Qui oserait prétendre que toutes ces victimes étaient des cibles militaires ?

Qu’on ne vienne pas non plus nous rappeler que ces atrocités étaient commises bien avant la signature de la charte des Nations Unies, de la convention des Droits de l’Homme et de la convention de Genève sur le génocide. Les guerres successives du Vietnam, la guerre d’Algérie, le conflit israélo-palestinien, la guerre en Irak et en Afghanistan sont parsemés d’horreurs et de violations des droits de l’homme tout à fait assimilables à des crimes de génocide.

Il suffit de mentionner, pour mémoire, les massacres de Sétif et de la casbah d’Alger, durant la guerre d’Algérie ; les tueries systématiques dans les camps palestiniens de Sabra et Chatila ; les bombardements américains au napalm dans le village de My Lai, durant la guerre du Vietnam. Tous ces exploits macabres ont-ils fait l’objet d’une investigation de l’ONU en vue de traîner les officiers et les soldats responsables de ces massacres massifs contre la population civile devant une cour de justice ? Pas le moins du monde. Même la simple évocation d’une telle initiative n’a jamais figuré à l’ordre du jour de la Commission des Droits de l’homme de l’ONU.

S’agissait-il d’atrocités et de violations susceptibles de constituer le crime de génocide ? La question peut toujours, du moins en principe, faire l’objet de discussions animées entre les juristes. Mais si on se réfère aux massacres systématiques des Indiens en Amérique, aux campagnes esclavagistes et à la traite des Noirs du continent africain, là il n’y a plus le moindre doute possible.

Les Indiens d’Amérique étaient estimés à environ 11 millions d’âmes, au moment de la conquête des Blancs, amorcée par l’expédition de Christophe Colomb. Au début du vingtième siècle, aux Etats-Unis, il ne subsistait environ que 250 000 rescapés parmi la population indienne. D’où la remarque pertinente, mais combien consternante de l’écrivain américain, Jim Harrison, qui prétend qu’aujourd’hui : « Tout Américain (blanc) vit avec un fantôme dans le placard qu’il se garde bien d’ouvrir. Car il en sortirait, dit-il, le spectre du génocide des Indiens ». (Interview de l’auteur diffusée sur TV5 Monde en septembre 2010.)

En France, à la libération, les multiples règlements de comptes, l’épuration contre les collabos étaient menés par la Résistance. L’exécution d’otages allemands était perpétrée, à titre de représailles, par les autorités locales sur des prisonniers capturés et livrés par les forces combattantes. Ce fut le cas notamment pour 5 femmes, auxiliaires de l’armée allemande, exécutées sommairement au village de Saint-Cyr dans la Vienne en septembre 1944. Elles avaient été arrêtées par une unité combattante de parachutistes, sous les ordres d’ un lieutenant français, le 13 août 1944, qui en avait transmis l’information à sa hiérarchie, comme le confirment les archives du « Special Air Service » à Londres. On pourrait allonger la liste de telles violations des droits de la personne humaine sur le territoire français et ailleurs en Europe.

En Espagne, par exemple, les massacres contre les prêtres catholiques ou contre les républicains avaient là aussi un caractère systématique indéniable. L’armée de Franco y a participé copieusement. Aujourd’hui personne ne songe à réclamer une procédure judiciaire contre les auteurs de ces atrocités au sein de l’armée espagnole. Pourtant la volonté d’extermination d’un groupe de civils, pour leurs convictions religieuses ou politiques, ne fait pas l’ombre d’un doute. Ce qui correspond précisément à la définition du crime de génocide.

Si les crimes contre l’humanité, le génocide en particulier, sont imprescriptibles, les Etats et les individus responsables de ces atrocités peuvent toujours être cités à comparaître devant la Justice. Seulement, voilà ! Le paradoxe de la communauté internationale veut que ne soient cités à comparaître que les représentants des Institutions étatiques des pays africains pour violations du droit humanitaire international. Jamais les organes officiels des grandes puissances, ceux des Etats anciennement coloniaux, par exemple, ne sont concernés par une quelconque enquête pour violations des droits de la personne. Simple coïncidence ou l’effet d’une stratégie délibérée ?

Quoi qu’il en soit, la publication de ce Rapport Mapping de l’ONU ne fera que confirmer l’impression d’une tentative sournoise, au sein de la famille des Nations Unies, d’introduire subrepticement la pratique de « deux poids, deux mesures » dans le processus de répression des violations du droit humanitaire international.

D’un côté, les puissances mondiales, les pays démocratiques occidentaux, jouissant d’une influence déterminante au sein du concert des Nations, peuvent continuer impunément à transgresser le respect des droits fondamentaux de la personne. Ils ont commis des crimes contre l’humanité, dont certains pourraient même être qualifiés de génocide. Cela n’a entraîné aucune conséquence désagréable de la Commission des Droits de l’homme de l’ONU. Ces crimes normalement devraient être jugés. Ils ne sont, en tout cas, en rien comparables à l’action de l’armée rwandaise en RDC.

De l’autre côté, les Etats pauvres du continent africain, dont le Rwanda. L’armée nationale de ce pays, l’APR, a mis en déroute les camps de réfugiés Hutu au Zaïre, transformés en bases militaires des génocidaires. Ces derniers y préparaient une attaque contre le Rwanda, au vu et au su de tout le monde, voire même avec l’accord tacite et l’appui de l’ONU, ainsi que de certains pays membres comme la France. Une armée qui protège la population hutu, tutsi et twa à l’intérieur du pays, qui traverse la frontière, défait les camps de réfugiés et libère deux millions de Hutu, pris en otages par les forces génocidaires, pour les reconduire dans leur pays et les réinstaller dans leurs biens. Est-ce bien là l’opération d’une armée génocidaire contre les Hutu ? C’est plutôt une action de libération comparable à celle des Forces Alliées pendant la deuxième guerre mondiale.

Les excès individuels inévitables dans pareils cas ne peuvent aucunement être imputés au commandement hiérarchique ni au pays d’origine. Cela a bien été le cas durant la deuxième guerre mondiale. Cela est aussi le cas avec la guerre de libération menée par l’APR contre l’armée génocidaire en RDC. L’action d’élimination physique des nazis et de libération des peuples européens a été saluée et célébrée comme une action bénéfique pour toute l’Humanité. Cela doit l’être au même titre pour l’action de l’APR en vue de l’élimination des génocidaires de la RDC et de la libération des Hutu, pris en otages, pour les reconduire et les réinstaller dans leur pays.

L’accusation contre l’APR est donc une action injuste, voire criminelle et préméditée. Elle vise à diluer et à nier le génocide des Tutsi, en appuyant la théorie négationniste du « double génocide » entre deux ethnies rivales.

Finalement, il est parfaitement clair pour les signataires du présent mémorandum que l’initiative du Projet Mapping en RDC n’est qu’une manœuvre de diversion. Elle n’a, pour principale finalité, que le souci de détourner l’attention de l’opinion publique des échecs successifs de la MONUSCO. Celle-ci s’ est montrée incapable d’assurer la protection et de garantir la sécurité des populations civiles à l’Est du Congo. Et voici, comme dérivatif, que la famille des Nations Unies cherche à faire d’une pierre deux coups. Elle entreprend de salir la réputation des Forces Rwandaises de Défense, en les accusant d’avoir pratiqué les pires atrocités, voire des actes de génocide au Zaïre, l’actuelle RDC. Histoire de faire oublier que c’est l’APR, l’armée patriotique rwandaise, qui a mis fin au génocide en 1994 au Rwanda, que les troupes de l’ONU n’avaient pas réussi à conjurer. Comme si cette manœuvre tardive pouvait restaurer à posteriori le prestige perdu des soldats de l’ONU.

Pis encore, si l’Est de la RDC continue encore aujourd’hui de subir des affrontements sanglants, c’est en grande partie parce que la Communauté internationale, le HCR, l’opération « Turquoise » et le régime Mobutu ont donné leur aval aux FAR et aux milices Interahamwe pour s’installer, avec armes et bagages, au Nord et au Sud-Kivu. C’est-à-dire non loin de la frontière avec le Rwanda. Ce qui est une violation flagrante des directives en vigueur du HCR. Décidément, la grande famille de l’ONU n’en rate pas une pour contribuer à déstabiliser la région des Grands Lacs africains.

En tous les cas, plus personne aujourd’hui n’est dupe en Afrique et, particulièrement, au Rwanda. L’attaque frontale de ce Rapport Mapping contre les forces armées des Etats africains constitue une grave violation de la souveraineté des pays mis en cause.

A l’égard des troupes rwandaises, qui ont mis fin au génocide de 1994, qui ont engagé au Darfour un contingent particulièrement efficace pour combattre un autre génocide en cours, cela constitue, de surcroît, une infamie.


Le Comité de rédaction

1- Rwagasana Gérard, Professeur d’Université, Chercheur et Consultant international

Kigali, Rwanda. Tél : 250 788460976 ;

2- Sebudandi Gaétan, Journaliste indépendant ; Allemagne.

3- Mukagasana Yolande, Ecrivain, Belgique ;

4- Tshondo Gilbert, Chercheur Université de Genève ;

5- Mukunde Marie Goretti, Employée, Belgique ;

6- Karara Chantal, Belgique ;

7- Muligo Cyprien, Médecin, Belgique ;

8- Bizimungu Edward, Economiste, Suisse ;

__

•• Message reçu par e-mail pour publication le 3 octobre 2010.

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— L’équipe Izuba Information

 4/10/2010

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