Haïti s’enflamme

La rédaction - 9/12/2010
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Des résultats d’incohérents...
Point Info 9/12/2010

Ban Ki-moon, le secrétaire général de l’ONU, est préoccupé face aux « actes de violence » et aux « troubles qui ont eu lieu après l’annonce des résultats préliminaires » des élections présidentielles et législatives du 28 novembre dernier.

Émeutes, incendies, fusillades ont éclaté dans les grandes villes du pays - au moins quatre personnes ont été abattues - alors que la permanence du parti Inité et du candidat du pouvoir, Jude Célestin, a été incendiée.

Des violences ont en effet éclaté à travers le pays dès la publication des résultats électoraux et 4 personnes au moins ont été tuées, tandis que plus d’une dizaine d’autres ont été blessées.

Prévus pour 18 heures, les résultats des élections présidentielles et législatives ont été proclamés vers 21 heures. Lus par un porte-parole du Conseil Electoral Provisoire seul, perdu, dans un décor de neuf chaises vides. (...)
Sitôt fini, le porte-parole s’éclipse, sans un mot. Pas le temps de prendre une question. D’apporter une précision. (...)
L’atmosphère est au sauve-qui-peut. C’est visible. D’ailleurs, dès quatre heures de l’après-midi, la ville inquiète avait envie de courir, de prendre la fuite, de se terrer, de s’enfermer. D’attendre que les résultats passent. Comme pour un ouragan.
Il est 22 heures. Personne ne sait de quoi demain sera fait. Les candidats admis au second tour, ceux recalés avec l’envie de se battre et ceux qui savaient déjà que rien de bon ne les attendait le jour de la proclamation des résultats : tout le monde se tait.
Pas de responsable du CEP. Pas de voix morale. Rien. Le silence et la rumeur de la foule qui occupe les rues alimentent l’angoisse.
24 ans devant la Télévision nationale que nous attendons que les choses se passent bien et que tout finit mal. Depuis le départ de Jean-Claude Duvalier le 7 février 1986, nous attendons certains soirs que le changement nous arrive d’un coup. Et le mieux avec.
Plus de 24 ans que nous essuyons des déceptions.

Frantz Duval, Le soir des résultats, Le Nouvelliste

Les candidats à la présidence Myrlande Manigat et Michel Martelly ont dénoncé les résultats préliminaires des élections proclamés par le Conseil Électoral Provisoire (CEP), et qui les mettent respectivement en première et troisième positions.

Selon les chiffres annoncés par le CEP, Martelly obtient 21,84 % des voix et est donc écarté du second tour auquel prendront part Myrlande Manigat et le candidat officiel Jude Celestin qui arrive en seconde position avec 22.48 % des voix. Mais la publication des résultats définitifs est prévue le 20 décembre.

Des résultats d’incohérents...

Washington a qualifié les résultats « d’incohérents ». « Des recours sont possibles » a indiqué de son côté l’Organisation des États américains alors qu’Ottawa menace de ne pas reconnaître l’issue du scrutin haïtien.

« Le Canada est inquiet des événements qui se produisent depuis la divulgation des résultats provisoires des élections en Haïti. Ça remet sérieusement en question la reconnaissance [des résultats] si nous ne voyons pas un progrès, mais surtout le respect du processus électoral », a mis en garde M. Cannon, le ministre des Affaires étrangères, disant espérer que le deuxième tour du scrutin se tienne dans de meilleures conditions.

« Tous les observateurs déclarent que ces résultats ne sont pas correctes, » souligne en effet Martelly.

Michel Martelly s’est adressé à ses partisans ce 8 décembre : « Peuple haïtien, depuis mardi soir, le CEP [Conseil électoral provisoire] a jeté le pays dans la crise avec ses résultats incorrects. Depuis, le pays s’est mis debout pour faire respecter le vote populaire », a-t-il déclaré en créole à la radio Signal FM.

Violences, irrégularités et fraudes

Un scrutin dominé par des violences, des irrégularités et des fraudes

Le député québécois Benoît Charette, membre d’une mission d’observation de l’Organisation internationale de la francophonie (OIF), a passé en revue des centaines de ces procès-verbaux : il affirme que ce qu’il y a vu ne correspond absolument pas aux résultats officiels annoncés mardi soir.

"En deux semaines de séjour en Haïti, j’ai parlé avec des dizaines de fans de Michel Martelly. J’ai suivi Mirlande Manigat dans une tournée électorale où elle était accueillie chaleureusement par ses partisans. Et j’ai assisté à des assemblées pro-Jude Célestin totalement artificielles, où de prétendus partisans ne se faisaient pas prier pour dire qu’ils allaient voter contre lui.

Mes observations sont forcément empiriques. Celles des observateurs de l’OIF restent partielles. Mais des tas d’autres signes permettent de conclure que, entre les résultats officiels et la volonté populaire, il y a un gouffre."

(Agnès Gruda, La catastrophe électorale, La Presse (Canada))

Selon Pierre Espérance, du Réseau haïtien de défense des droits humains, le jour du scrutin, des dizaines de milliers d’électeurs n’ont pas pu aller voter parce que leur nom ne figurait sur aucune liste, ou parce qu’ils se sont heurtés à un bureau de vote fermé. Dans la région de Saint-Marc, par exemple, les gens ont pu voter dans 4 des 24 centres de vote.

Le rapport du Conseil national d’observation électorale

Outre les irrégularités et les fraudes, le scrutin présidentiel et législatif du 28 novembre 2010 en Haïti a été dominé par la violence, indique le rapport préliminaire du Conseil national d’observation électorale (CNO).

Ce rapport du Conseil national d’observation électorale, fruit des données cumulées par 5,525 observatrices et observateurs le jour des élections, dans le cadre d’un partenariat avec diverses institutions, entre autres l’Initiative de la société civile (ISC) et le Conseil national haïtien des acteurs non étatiques (Conhane) revient notamment sur les fait ssuivants :

Dans le département géographique du Nord Ouest, il y a eu des violences ou des altercations entre partisans de la plateforme présidentielle Inite et d’autres partis comme le Rassemblement des démocrates nationaux progressistes (Rdnp) et le MAS dans 4 communes.

Dans certains cas, notamment à Baie de Henne (Nord-Ouest), des jets de pierres et des échanges de tirs avec la police ont été observés.

Dans l’Artibonite, le rapport fait état d’élections particulièrement troublées par des cas d’affrontement entre la population et les casques bleus, de remplissage d’urnes, d’affrontement entre partisans de partis politiques dont « Inite » et « Ayiti An Aksyon » (Aaa). 15 maisons de partisans de « Inite » ont été incendiées, et un homme affilié à ce parti, tué par balles.

Dans le Nord-Est, des bandes armées ont perturbé le déroulement du vote à Caracol. Le président du bureau électoral communal (Bec) à Capotille a tiré sur les policiers, faisant plusieurs blessés, alors qu’à Ouanaminthe les partisans de « Inite » ont été surpris en train de remplir les urnes. Des observateurs du CNO ont aussi été victimes d’agressions.

Dans le Sud, deux personnes sont mortes par balles à Aquin lors d’affrontements entre partisans de « Inite » et de « Alternative ». Le rapport indique des irrégularités impliquant le parti au pouvoir « Inite » dans plusieurs communes.

Dans l’Ouest, à Cite Soleil, les partisans du dauphin de René Préval, Jude Célestin, se sont affrontés avec ceux du postulant à la présidence, Wilson Jeudi, et ont rempli les urnes. A Delmas, les partisans du candidat à la présidence Michel Martelly ont troublé le déroulement du vote.

A Tabarre (une des municipalités au nord-est de la capitale), un homme a été appréhendé avec des bulletins de Jude Célestin.

Dans l’ensemble, dans le département géographique de l’Ouest, de nombreux électeurs n’ont pas pu voter, parce qu’ils n’ont pas retrouvé leurs noms sur la liste électorale, note le rapport.

Dans la Grande Anse (une partie du Sud-Ouest), des irrégularités ont été notées dans presque tous les centres de vote et, selon les observateurs, les partisans de « Inite » étaient à l’origine de ces irrégularités.

Dans le département du Centre, des partisans de « Inite » ont également été surpris en train de bourrer les urnes. Les partisans de « Alternative » et du parti politique « Lavni » ont semé le trouble, pour leur part, en forçant des électeurs à voter pour leurs candidats ou en les empêchant de remplir leur devoir civique.

Dans les Nippes (autre partie du Sud-Ouest), les mandataires étaient à l’œuvre, obligeant des électeurs à faire choix de leurs propres candidats. Dans certains cas, les observateurs se sont vus refuser l’accès aux bureaux de vote.

Dans le Nord, les partisans de « Inite » et de « Alternative » ont fait irruption dans un centre de vote, violenté les superviseurs et détruit le matériel de vote.

Dans le Sud-Est, les bulletins ont été intervertis dans plusieurs centres de vote, notamment au Centre Celie Lamour de Peredo.

(Source : Alterpresse)

Le 3 décembre, le CEP promet une enquête

Le Conseil Électoral Provisoire (CEP) a solennellement promis de conduire une enquête sur les irrégularités et les fraudes dénoncées à propos du scrutin législatif et présidentiel du 28 novembre dernier.

« Des enquêtes seront faites, les responsabilités définies » a martelé le directeur général du CEP, Pierre Louis Opont, lors d’une rencontre avec les candidats Jude Célestin, Jean Hector Anacasis, Yvon Neptune, en présence de Camille Leblanc, avocat représentant le groupe des 12 candidats qui exigent l’annulation du scrutin ainsi qu’Edwidge Lalanne, représentant de Myrlande Manigat et Gervais Charles, représentant de Michel Martelly.

Le scénario du président René Préval

Jude Célestin, candidat du pouvoir, futur gendre du président sortant René Préval (...) a fait une campagne catastrophique malgré un déluge d’affiches et de spots télévisés. Quasi inconnu du public, dirigeant la compagnie nationale de travaux publics (le centre national de l’équipement), il s’est retrouvé propulsé candidat et chef de file du parti présidentiel « Inite » sans être même certain de l’avoir voulu. Initialement, le candidat et dauphin pressenti de René Préval devait être l’ancien premier ministre Jacques-Edouard Alexis.

Jude Célestin n’a que sa proximité avec René Préval et son manque de charisme comme de programme à faire valoir : cela explique son impopularité, le pouvoir sortant étant largement rejeté pour son immobilisme et son incompétence dans un pays dévasté par le tremblement de terre du 12 janvier.
(François Bonnet, Haïti : Sweet Micky ne rit plus, Mediapart)

Selon les résultats proclamés, Célestin n’aurait que 6000 voix d’avance sur Michel Martelly, alors que le corps électoral compte 4,7 millions d’électeurs : au vu des bourrages d’urnes manifestes, un si petit écart ne veut pas dire grand chose...

François Bonnet (Mediapart) précise que dès le début du mois novembre, un scénario bien rodé était décrit par les spécialistes de la vie politique haïtienne :

1. L’élection présidentielle se ferait en deux tours ;

2. Jude Célestin ne serait pas affiché en tête à la sortie du premier tour, ce qui aurait été trop gros. Il ferait environ 20% des voix ;

3. Mirlande Manigat arriverait en tête mais sans raz de marée. Cette femme, âgée de 70 ans, est une personnalité de l’île. Universitaire, spécialiste de droit constitutionnel, elle est jugée intègre. Elle est l’épouse de Lesly Manigat, qui fut brièvement président de la République à la chute de la dictature Duvalier à la fin des années 1980 ;

4. La campagne d’entre deux tours permettrait d’éliminer Mirlande Manigat et le vainqueur serait, in fine, Jude Célestin.

C’est donc ce scénario qui, dans un chaos apparent, est en train de se mettre en place sous l’œil attentif du président René Préval.

La seule façon de calmer les choses...

Agnès Gruda, La Presse, de conclure :

"L’explosion de colère d’hier montre que la farce électorale est sur le point de tourner à la catastrophe. La seule façon de calmer les choses serait de procéder à un nouveau dépouillement de votes, sous supervision internationale.

De laisser voter les gens qui n’ont pas pu le faire. Et de reprendre le scrutin là où il n’a pas pu avoir lieu. Mais pour ça, il faudrait d’abord admettre que le vote du 28 novembre a été un lamentable échec."


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 9/12/2010

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