Gérard Gartner - sculpteur et écrivain

Jean-Luc Galabert - 10/09/2012
Image:Gérard Gartner - sculpteur et écrivain

Initiative Tsigane
« Retrouver la pulsation de la vie en captant les formes par lesquelles passe tout ce qui a une consistance »

Le 22 février 1935, à midi, Gérard Gartner était encore dans le ventre de sa mère.

Sa famille se trouvait sur un terrain, à l’extérieur Nord de Paris. L’accouchement se déroulant mal, sa mère dut être transportée à l’hôpital Saint-Louis, dans le 10ème arrondissement de la capitale.

Ce sera donc comme un gadjo, au cœur de Paris, que le rom kalderash, peintre, sculpteur, écrivain, biographe de Matéo Maximoff, champion de France de boxe poids léger et initiateur de la « Première Mondiale d’Art Tsigane », est venu au monde.

A acheter dans la boutique Izuba :

• Matéo Maximoff, Carnet de route

• Népo célèbre inconnu

• Les sept plasticiens précurseurs tsiganes

« Manouche par ma mère, rom par mon père, je fus élevé par ma famille paternelle. Ce sont, avec leurs femmes, mon grand-père et son frère, arrivés de Russie comme chaudronniers de métier, qui m’éduquèrent et influencèrent mon trajet dans l’existence. Mes parents, occupés à se procurer de quoi subvenir, je n’ai reçu que peu de tendresse de leurs parts. Je fus jusqu’à douze ans attaché à mon grand-père, plus qu’à mon père et à ma mère que je voyais peu. Peu curieux, voire indifférent à ma lignée maternelle à laquelle je n’ai jamais posé de question. Sur le passé de ma famille paternelle, je ne possède pas plus de renseignement. Bien que tendrement attaché à eux, je n’ai pas, en temps voulu, questionné mes aïeux.
Aujourd’hui, je le regrette un peu. Tous sont décédés. Il y a des choses qui m’ont construites que j’ignorerai toujours. »
, dit Gérard, plongé dans ses souvenirs, sans paraitre toutefois en souffrir.

Tous les enfants aiment jouer, mais lui n’en a pas eu vraiment l’occasion. Lorsqu’il était petit, c’était la guerre et il fallait pour survivre trouver de l’argent. Afin de s’en procurer, Gérard accompagnait les hommes qui allaient, en se cachant, découper les canalisations en plomb, pour les revendre au poids chez les ferrailleurs.

Gérard doit à son grand-père sa carrière de boxeur.

Très jeune, il l’accompagnait, allant rendre visite à Pantin dans une salle d’entrainement, à son ami Téo Médina, ce grand boxeur gitan de renommée mondiale. Gérard deviendra plus tard, sous l’égide de Téo, un assidu du lieu et le talent aidant, progressera rapidement pour devenir champion de France amateur puis international en équipe de France. L’ancien champion de boxe revient en arrière sur son passé :

« La boxe m’a permis de goûter à une manière de vivre autre que celle de mes oncles et tantes maternels et paternels. J’ai vécu dans un univers différent, qui m’a permis de rencontrer beaucoup de femmes et de fréquenter de nombreux gadjé de divers milieux. Oubliée, la langue romanes, personne ne supposait que j’étais rom, personne ne se doutait d’où je venais, même pas mon entraineur. Durant ma carrière sportive, j’ai gardé secrète mon origine communautaire, non par crainte de quelque chose mais à seule fin de me construire par moi-même, en individu indépendant, libre de toute contrainte ».

A la même époque, Gérard Gartner, après une rencontre heureuse avec une autre connaissance de son grand-père, le célèbre chansonnier anarchiste montmartrois Charles d’Avray, très connu à l’époque, Gérard découvre l’art en lui rendant visite chez lui, Porte des Lilas.

« Je me souviens très bien de ma première visite. Il y a avait aux murs plein de tableaux de maitres qui me subjuguaient. C’était la première fois que je voyais de pareilles merveilles. J’ai eu envie d’en faire autant ».

Un boxeur qui dessine et qui peint, c‘est une chose plutôt rare, mais ça arrive.
Gérard décide donc, en plus de la boxe, de se consacrer au dessin puis à la peinture. Il revient régulièrement chez Charles d’Avray. Il saisit l’occasion pour faire des croquis des visiteurs assidus du chansonnier, entre autres Louis Lecoin et Georges Brassens, apprenant donc à dessiner et à peindre tout seul.

« J’aimais bien dessiner les visages, les têtes, faire le portrait des gens ».

Jusqu’à la fin de sa carrière sportive, il portraitura nombre de personnalités l’impressionnant par leurs idées libertaires et leurs mode de vie indépendants.

« Lorsque j’ai mis fin à ma carrière de boxeur, j‘ai continué un temps la peinture mais des problèmes avec des clients m’ont coupé l’envie de continuer ».

Durant une certaine période, Gérard Gartner devient garde-du-corps d’un ministre de la culture, pratique un temps le métier d’embaumeur, fréquente Alberto Giacometti et pour gagner sa vie, fait « des métiers de gitans », comme il le dit lui-même.

Enfin il se retrouve porteur puis récupérateur aux Halles. Sur la décharge de Rungis, les camions arrivent et déversent de grosses quantités de déchets de toutes natures, entre autres du plastique. La réalité grise du quotidien fait germer des idées fabuleuses dans le cerveau de Gérard et réveille en lui une créativité de sculpteur.

La sculpture, un domaine encore ignoré par lui-même, autant d’ailleurs que par les tziganes dans les années 69. Un jour, il voit des camions déverser des rebus de plastique. Gérard sent que la matière lui parle, il ne se pose pas trop de questions, ramasse le plastique qui ne sert plus à rien, le recharge dans sa voiture et le ramène à la maison.

Chez lui, sans attendre, il chauffe, déforme, incorpore des couleurs, dénature l’aspect originel de la matière, la reforme à son goût, se fabrique une technique et un style personnels, qu’il mettra au point pendant plusieurs années, avant d’oser exposer son travail en 1976. Il est vrai que les œuvres de Gérard Gartner ne font plus en rien penser à des déchets de plastique.

« Lorsque j’ai découvert le plastique, je me suis libéré des contraintes représentatives du portraitiste. J’ai abandonné le dessin et ses conventions pour représenter une réalité plus profonde, plus essentielle, sortant de l’ordinaire. On pourrait croire mes formes folles, pourtant ce sont les formes les plus courantes que prend la matière lorsqu’elle passe de l’être au non-être. C’est à ce moment que débuta une autre période créative de ma vie. »

En même temps, ce fut un retour vers ses origines que Gérard entamait, créant et présidant l’association « Initiative Tsigane » afin de concrétiser son désir de faire savoir au grand public qu’il existe des artistes plasticiens tsiganes. Gérard est fier de cette « Première Mondiale d’Art Tsigane » qui a eu lieu à la Conciergerie de Paris et qui fut subventionnée par le ministère de la culture et la mairie de Paris, se déroulant du 1er au 30 mai 1985.

La culture, et l’art plastique plus particulièrement, sont les thèmes de prédilection de Gérard Gartner. Faire découvrir la potentialité des tziganes peintres et sculpteurs est son cheval de bataille.

Redonnons la parole à Gérard pour qu’il nous décrive sa façon de créer.

« Quand je travaille, parfois ça ne donne rien, il fait absolument que la forme pour moi soit organique. Pour qu’elle me convienne, il faut qu’on sente le viscéral, il me faut le saisir lorsque la matière, une fois chaude, coule, se transforme, un peu comme les concrétions géologiques que le temps a figé. Les formes les plus essentielles, les plus concrètes, ce sont les coulées, comme un corps qui bouge, s’enroule, se crispe, se détend et se rétracte, pour repartir dans le même rythme. Retrouver la pulsation de la vie en captant les formes par lesquelles passe tout ce qui a une consistance. »

L’artiste manie sans problème le chalumeau.

Rien d’étonnant puisque son grand-père était chaudronnier, il connaissait le martèlement et la forge. Le travail du plastique est très dangereux, à cause des émanations. Gérard qui ne met jamais de gant ou de masque, s’y prend intelligemment et réalise ses œuvres à l’air libre et ne s’enferme jamais. Il faut aussi ajouter que la sculpture, faite de matière plastique, demande peut d’investissement puisque sa matière première est constituée de déchets.

Récemment, Gérard a entamé une nouvelle période créative, celle d‘écrivain. Son premier ouvrage, « Carnets de route », publié en 2006, retrace la vie de l’écrivain rom, de renommée mondiale, Matéo Maximoff, par ailleurs son ami pendant 40 ans.

Pour son ouvrage, Gérard a obtenu le prix « Romanes », que fonda lui-même Matéo Maximoff en 1980. Il vient de terminer un ouvrage biographique qui retrace la vie de l’un des tous premiers peintres tsiganes, par ailleurs chorégraphe et auteur de ballets, qui en 1948, reçut Jacques Prévert dans ses bras, lorsque celui-ci tomba du 1er étage de la Maison de la Radio à Paris.

Si Gérard ne crée plus de sculpture et se consacre désormais à l’écriture, il continue d’exposer ses œuvres. Par ailleurs, depuis plus de trente ans, Gérard se voue à une cause, celle de l’art plastique des tsiganes.

Après la « Première Mondiale » en 1985, et après avoir fait circuler une exposition itinérante, il travaille en ce moment sur un ouvrage qui évoquera historiquement les sept artistes précurseurs tsiganes, ceux qui optèrent professionnellement pour l’art plastique.

Gérard Gartner habite dans une vraie maison, près de Cahors, dans le midi de la France. S’il n’a jamais vécu en caravane, il voyage beaucoup en raison de ses recherches documentaires et couche, malgré son âge, dans sa camionnette le tiers de l’année.

« Bien que me souhaitant utile à la communauté, j’en demeure indépendant et incalculable dans mon comportement », conclut-il.


Extrait de Matéo Maximoff, Carnet de route, pp. 14-15

26 Novembre 2000.

La journée touche à sa fin. Je verse l’eau sur le thé et observe en transparence le verre. Cette boisson est préparée avec un sachet t’ayant appartenu. je l’ai gardé précieusement, Embarqués ensemble sur la mer nous appareillons. A mon tour de déplier le portulan vogue la caravelle du vieil argonaute et le youyou du rapporteur ! Naviguons de concert au gré du temps sidéral. Dieu seul sait vers quelle infinitude, vers quelles résurrections.

J’ai songé qu’un vieil usage conviendrait pour me servir d’excuse, d’alibi a tempo dans cette entreprise, Chez nous, les Tsiganes, quelques jours avant que la période du deuil se soit écoulée, la famille du défunt choisit un proche parent ou un ami d’à peu près son age, pour le représenter une année durant, assumer son rôle, l’imiter dans ses manières et ses propos.

Fort de ce recours qui porte le nom de pomana et de la grande liberté que je m’octroie,je m’engage donc à assumer résolument la parole en ton nom. Oser prendre ta place, parler et narrer a ton endroit, m’exprimer comme tu l’aurais fait, prononcer les mots et les phrases que tu employais, me mettre à table muni de ton répertoire, m’autoriser à revêtir ta façon d’être, m’habiller à ta manière, m’imprégner de tes divers personnages, me pénétrer le plus possible de ton esprit, tenter de faire réapparaitre ton image, de ranimer ton fantastique trajet, de t’incarner en somme, voila mon souhait que je réaliserai au moyen de cette vieille coutume tsigane aujourd’hui tombée en désuétude.

]’ai décidé d’employer cette antique tradition maintenant obsolète car elle n’est ni immorale, ni nuisible. Qu’on s’esclaffe, tant pis ! Quelle goujaterie ! Le flibustier, l’inconvenant ! Mais enfin, de quel droit ce cabotin...? Un scandale vraiment répugnant, consternant !

Je m’attends a recevoir par-derrière une volée de bois vert, mais n’en ai cure car cette punition, toi Seul Matéo, aurais eu autorité à me l’administrer. le persisterai donc a te raconter de mon point de vue.

Maintenant que l’aviso est à la mer qui viendra me mettre le bâillon ? Et si l’embarcation prend l’eau, qui tentera de venir à notre secours ? Au pire, que je t’ai bien ou mal rapporté, on se détournera.

Par honnêteté, par pudeur par déférence, par respect de la coutume aussi, mon vœu ne peut se réaliser qu’une fois l’année de ta mort révolue, après que ton existence outre-tombe sera amorcée.

Or tous, familiers et proches, avons respecté le délai et le rite afin de ne pas bousculer ton repos, ni flétrir ta mémoire. Hier une célébration, un cérémonial public, festif et respectueux a bien eu lieu.

A présent, je puis dont prendre ouvertement la parole à ta place, ainsi que notre immémoriale coutume m’y incite.

Psychologue, diplômé en Anthropologie Sociale et Historique et en Ethnopsychiatrie, Jean-Luc Galabert a séjourné et travaillé au Rwanda à plusieurs reprises en tant que psychologue et enseignant.

Éditeur (éditions Izuba) et auteur, il est membre du comité éditorial de la revue La Nuit Rwandaise et collabore à l’association France Rwanda Génocide - Enquête, Justice, Réparations.

Il est auteur du livre Les enfants d’Imana, Histoire sociale et culturelle du Rwanda ancien et a édité avec Josias Semujanga Faire face au négationnisme du génocide des Tutsi.

 10/09/2012

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