Bisesero, un crime français

La rédaction - 30/06/2014
Image:Bisesero, un crime français

Opération Turquoise
Une enquête de Vénuste Kayimahe et Jacques Morel

Ce 27 juin est parue une enquête de Vénuste Kayimahe et Jacques Morel, qui vient compléter les informations précédemment recueillies, rappelant que les militaires français de l’opération Turquoise ont laissé les Tutsi de Bisesero se faire massacrer, et ce malgré le mandat officiel de l’opération Turquoise.

Cette enquête réalisée sur le terrain en 2013 a permis d’établir une liste nominative de 381 personnes tuées après le 23 juin 1994.

En effet, notent les auteurs de ce rapport, alors que « les Français de l’opération Turquoise ont le contrôle de la région, ils ne démantèlent pas la machine à tuer ».

Au contraire, les Français laissent les massacres – « qu’ils observent à la jumelle » – se perpétuer. Les tueurs, qui « leur ont fait une ovation à leur arrivée » reprennent alors avec vigueur la chasse aux Tutsi et le nombre d’homicides augmente durant la présence française, passant « de 18 le 24 juin à 64 le 26 juin pour culminer à 85 les 27 et 28 juin ».

« 51 personnes sont encore tuées le 29 juin », soit le jour de la visite du ministre de la Défense français, François Léotard, au poste avancé de Turquoise, à Gishyita, à quelques kilomètres à peine de Bisesero. Ils soulignent le fait que 47% des victimes recensées sont des femmes, et l’âge moyen de personnes exterminées est de 25 ans (les plus jeunes n’ayant pas 10 ans)

Le massacre systématique des Tutsi de Bisesero ne cessera finalement que « le 30 juin au soir » lorsqu’« une opération de secours est enfin déclenchée ».

Ainsi que le précisent les rapporteurs, « ce recueil des noms de personnes tuées durant cette période n’est pas exhaustif ».

En effet, si 381 personnes tuées dans la région de Bisesero après le 23 juin 1994 ont pu être identifiées, il est généralement admis qu’il restait 2500 rescapés le 27 juin 1994, alors qu’il n’y avait début juillet plus que 1400 survivants. Ainsi, on peut estimer le nombre de morts pour la période du 27 au 30 juin à environ 1100 victimes.

Il importe de rappeler également qu’on a dénombré un total de 54 000 squelettes au mémorial de Bisesero. Les collines de Bisesero abritaient ainsi encore plus de soixante mille personnes au début du mois de mai, qui étaient parvenues à résister à plus d’un mois d’attaques répétées de miliciens et de soldats génocidaires. Le grand massacre des résistants de Bisesero interviendra les 13 et 14 mai.

On estime que ces jours-là un minimum de 40 à 50 000 personnes auront été tuées lors d’une opération menée à l’arme lourde et à l’aide de mitrailleuses, avec le soutien de très nombreux militaires et miliciens.

De nombreux témoignages (près d’une centaine), émanant pour l’essentiel de rescapés, mais aussi de bourreaux, font état de ce que pour cette offensive les forces génocidaires auraient bénéficié du soutien d’un nombre indéterminé de soldats décrits comme « blancs » et souvent qualifiés de « français » – au moins une dizaine, éventuellement plus. De multiples éléments permettent de penser qu’il aurait pu s’agir de mercenaires.

Depuis une quinzaine d’années, divers chercheurs auront enquêté sur cet épisode particulièrement tragique, dernier grand massacre du génocide, possiblement le plus grand. Hormis l’importante enquête non encore publiée de Cécile Grenier, réalisée en 2002-2003, notons le travail de Serge Farnel, qui a publié en 2012 la retranscription des témoignages qu’il a pu recueillir, dans son livre Rwanda, 13 mai 1994, un massacre français ? En avril dernier, le même auteur publiait une chronique extrêmement détaillée des cent jours de cette résistance héroïque, sous le titre Bisesero, le ghetto de Varsovie rwandais. De même, paraissait en avril dernier un livre de Bruno Boudiguet, Vendredi 13 à Bisesero, la question de la participation française au génocide des Tutsi, qui fait le point sur l’ensemble du dossier.

On relève également une mention de cette participation de « soldats » ou « mercenaires », « blancs » ou « français », à travers une anecdote rapportée par Jean-François Dupaquier dans son livre paru en mars dernier, Politiques, militaires et mercenaires français au Rwanda, ainsi que dans un article publié par le site d’information Afrikarabia [1] et dans l’entretien publié dans le huitième numéro de La Nuit rwandaise [2]. En atteste l’agenda du premier ministre du gouvernement génocidaire Jean Kambanda qui mentionne avoir reçu « le milicien qui a tué un mercenaire blanc ».

En recoupant cette information, Jean-François Dupaquier serait parvenu à savoir qu’il s’agirait d’un mercenaire qui aurait exprimé son malaise après avoir participé à cette tuerie d’énorme envergure. Selon Dupaquier, une équipe de mercenaires français embauchés par le gouvernement génocidaire, possiblement par l’entremise de Paul Barril, aurait été présente au Rwanda pendant le génocide. « Plusieurs d’entre eux semblent s’être retrouvés sur les collines de Bisesero à la mi-mai 1994 pour conseiller l’extermination des Tutsi. » « Un des mercenaires de l’équipe, peut-être révolté par le “travail” qui lui était assigné, a été tué par un milicien interahamwe. »

L’ensemble de ces informations permet de conclure qu’au-delà de l’abandon brutal des dernier-e-s rescapé-e-s de Bisesero par les patrouilles de reconnaissance de Turquoise, du 27 au 30 juin 1994 – ainsi qu’ont pu en attester dès l’époque plusieurs journalistes, parmi lesquels Patrick de Saint-Exupéry, du Figaro, qui aura rapporté le fait dans son livre Complices de l’inavouable, dont la première édition paraissait il y a dix ans, en 2004 –, des forces françaises, éventuellement engagées comme « mercenaires », pourraient avoir participé directement à l’extermination des Tutsi qui auront, en dépit de tout, résisté au génocide jusqu’au bout.

Aujourd’hui, 30 juin 2014, en ce jour anniversaire de la fin du génocide à Bisesero, on apprend les frasques de l’ex-gendarme de Mitterrand, que le GIGN aura dû calmer dans son appartement bourré d’armes au point de faire peur aux pompiers qui venaient le secourir… Paul Barril est manifestement un homme que sa conscience ne peut laisser en paix. Mais, vingt ans après, c’est la République qui doit répondre de ses actes.

La Nuit rwandaise

A lire :

• Enquête sur les victimes tuées au Rwanda durant l’opération Turquoise - Cas de la région de Bisesero de Vénuste Kayimahe, Jacques Morel

« Une enquête faite en 2013 a relevé la liste nominative de 381 personnes tuées dans la région de Bisesero au Rwanda après le 23 juin 1994. À cette date les Français de l’opération Turquoise ont le contrôle de la région. Les tueurs leur ont fait une ovation à leur arrivée. Les Français ne démantèlent pas la machine à tuer. Confortée par cette présence, la chasse aux Tutsi à Bisesero reprend de la vigueur, le nombre d’homicides passe de 18 le 24 juin à 64 le 26 juin pour culminer à 85 les 27 et 28 juin (...) »

• Liste des victimes triées par date de mort (pdf)
• Liste des victimes triées par nom (pdf)
• Liste des victimes triées par numéro (pdf)

• Rwanda : Une plainte contre Paul Barril pour complicité de génocide sur Afrikarabia, par Jean-François Dupaquier

• Entretien avec Jean-François Dupaquier, La Nuit rwandaise n°8, par Jean-Luc Galabert

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Illustration : Parachutistes français le 14 août 1994 gardant l’aéroport de Kigali, Wikimedia, domaine public.

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 30/06/2014

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