Rwanda : vers un amendement de la loi sur l’idéologie de génocide

Safari - 12/11/2012
Image:Rwanda : vers un amendement de la loi sur l'idéologie de génocide

Loi n°18/2008 du 23 juillet 2008
Répression du crime d’idéologie du génocide et du négationnisme

Alors que le verdict du jugement de Victoire Ingabire a été rendu (elle a été condamnée à huit ans de prison), le Parlement rwandais a accepté d’étudier des amendements présentés par le gouvernement à la loi controversée punissant « l’idéologie de génocide », visant notamment à répondre aux critiques selon lesquelles cette loi musèlerait la libre expression au Rwanda.

Adoptée en 2008, cette loi visait à empêcher une répétition du génocide de 1994 en punissant les propos, les écrits, ou autres actes visant à exterminer des groupes humains.

« On entend par idéologie du génocide un agrégat d’idées qui se manifestent par des comportements, des propos, des écrits et tous les autres actes visant ou incitant les autres à exterminer des groupes humains en raison de leur ethnie, origine, nationalité, région, couleur, apparence physique, sexe, langue, religion ou opinion politique, en temps normal ou en temps de guerre. »
Loi n°18/2008 du 23 juillet 2008 portant répression du crime d’idéologie du génocide (lire le fichier .pdf en bas de page).

« Nettoyer la loi de ses excès »

« Nettoyer la loi de ses excès, afin qu’elle puisse différencier les propos raisonnables de l’idéologie génocidaire. »

C’est ce qu’a déclaré, ce vendredi 2 novembre, le ministre rwandais de la Justice, Tharcisse Karugarama, en présentant aux parlementaires une série d’amendements visant à modifier la loi relative à la répression du crime d’idéologie du génocide, selon RFI.

Le Ministre Karugarama a expliqué que cette la loi sanctionnant l’idéologie du génocide n’était pas claire, ce qui laissait une trop importante marge d’interprétation aux juges. En outre, le Ministre a noté « qu’on ne peut, en aucun cas, juger quelqu’un suite à ses intentions » : « l’intention est abstraite, il faut qu’elle soit manifestée pour être punie », aura ajouté le Ministre, rappelant que les jugements s’appuient sur des preuves publiques, des informations, des livres, des images, … Une fois publiés, ces éléments deviennent publics et peuvent constituer une preuve. « Quant aux propos proférés en privé, ils ne sont bien sûr pas pris en considération, et donc ne constituent aucune preuve. »

Les amendements présentés par le gouvernement, et que les parlementaires ont donc accepté d’étudier à une large majorité vendredi dernier, visent donc à donner une définition plus précise de l’infraction.

Les amendements présentés par le gouvernement visent également à diminuer les peines prévues par la loi actuelle.

Après son étude et sa finalisation en commission parlementaire, la nouvelle loi sera soumise au vote du Parlement, dans un délai pour l’instant non encore précisé.

Une loi controversée

L’ONG Amnesty International appelait le gouvernement du Rwanda à réviser cette loi relative à l’idéologie du génocide, qu’elle estimait « rédigée en termes vagues » et accusait le gouvernement rwandais de l’utiliser « pour éradiquer toute dissidence politique et museler la liberté de parole » (rapport publié le 31 août 2010).

Philippe Bernard [lire ci-dessous] (du journal Le Monde) et de nombreux médias emboîtèrent le pas de l’ONG, relayant des propos « ethnistes » que ne désavoueraient pas les génocidaires jugés à Arusha tout comme les milices armées constituées d’anciens militaires rwandais et d’Interahamwe, principaux responsables du génocide et de la déstabilisation de la région Congolaise du Kivu - frontalière du Rwanda - et des nombreux viols et massacres qui y sont encore perpétrés : « Les ethnies existent au Rwanda. On ne peut pas les supprimer par une décision politique », argumentait dans le quotidien français M. Bukeye, suite à la publication du rapport d’Amnesty International.

La loi sur l’idéologie du génocide - aussi imparfaite soit-elle - ne s’applique cependant qu’au Rwanda, laissant certaines ONG et médias étrangers utiliser, de fait, le même langage que les génocidaires... Sur « la réalité » du fait ethnique au Rwanda, on renverra ces idéologues de l’ethnisme aux nombreux travaux des historiens, qui tel Jean-Pierre Chrétien ou Jean-Luc Galabert, fournissent une analyse moins orientée politiquement et idéologiquement de la société rwandaise.

Les autorités rwandaises avaient cependant annoncé la révision de la loi sur l’idéologie du génocide dès avril 2010.

Le Sénateur Jean-Damascène Bizimana, Docteur en droit, rappelait lors d’une concertation en vue de réviser cette loi (en janvier 2012) que plus de 13 pays européens condamnent les personnes qui contestent en public le génocide des Juifs à des peines de prison pouvant aller de 6 à 12 ans. Il a donc indiqué que « la répression de l’idéologie du génocide et du négationnisme n’est pas une spécialité rwandaise ».

Le Sénateur avait néanmoins fait part de certaines critiques concernant cette loi visant à réprimer le négationnisme et l’idéologie génocidaire, notamment la « non souplesse de cette loi » en ce qui concerne les circonstances atténuantes, le fait que « certaines de ses dispositions restent radicales et irréversibles » ou encore « la rigidité de la loi rwandaise » et la durée des peines encourues.

Le Secrétaire Permanent du Ministère de la Justice rwandaise, M. Pascal Bizimana, avait alors salué les critiques constructives faites lors de cette concertation sur la loi portant répression de l’idéologie du génocide, critiques qui semblent avoir été entendues et prises en considération dans la proposition du gouvernement, adressée la semaine dernière au Parlement, relative à la révision de cette loi.

Les réactions à cette révision

On ne peut que se féliciter du fait que cette loi sur l’idéologie du génocide soit révisée et clarifiée, plus précise quant aux faits jugés et laissant moins de prises à l’interprétation. Gageons que les ONG et les observateurs internationaux verront dans cette révision une avancée du droit et de la justice.

Il ne faut cependant pas passer sous silence les différentes et nombreuses offensives négationnistes, qui sont largement relayées sur internet, dans les médias, dans les institutions (cercles d’église, ONG, …) et dans les milieux proches des génocidaires (et de leurs soutiens, tant dans la région des Grands Lacs, au Rwanda et au Congo voisin, bien sûr, mais aussi dans toute l’Afrique, en Europe ou en Amérique du Nord.

De nombreux Rwandais craignent ainsi un retour des idéologies racistes au Rwanda.

Ainsi, alors que devant les députés à l’Assemblée Nationale, ce 2 novembre, le Ministre de la Justice et Mandataire général de l’Etat, M. Tharcisse Karugarama s’expliquait sur le projet de loi sanctionnant l’idéologie du génocide, certains députés ont fait part de leurs interrogations.

Le député Gédéon Kayinamura a ainsi estimé que les peines prévues par cette proposition de révision étaient tellement réduites « que l’idéologie du génocide n’aura plus de teneur ».

La députée Euthalie Nyirabega aura estimé que cette volonté de réduction des peines était en quelque sorte du « négationnisme ».

Quant au député Ezéchias Rwabuhihi, il a fait savoir que, dans le monde entier, « il existe des laudateurs et des opposants à telle ou telle idéologie », et qu’on ne peut pas, heureusement, les empêcher de s’exprimer. Mais il est crucial, pour cet élu, de voir la particularité du Rwanda et du récent génocide commis, en 1994, contre une partie de sa population : ceux et celles qui étaient désignés comme Tutsi. Il est ainsi revenu sur l’importance des aspects pédagogiques pour lutter contre le divisionnisme et le négationnisme.

Dans un récent entretien [1], Scholastique Mukasonga, que l’on célèbre aujourd’hui depuis qu’elle a obtenu le prix Renaudot pour son roman Notre-Dame du Nil, tenait à rappeler que la civilisation rwandaise a été occultée par deux facteurs : la religion chrétienne et surtout catholique et par le rejet de la république hutu de tout ce qui concernait la culture traditionnelle que l’on considérait faussement comme uniquement tutsi et mise sur le compte de la royauté sacrée traditionnelle. Le Rwanda s’emploie à renouer avec ses racines, cela fait partie intégrante de la démarche actuelle des Rwandais autour de la réconciliation.

Lors de cet entretien, Boubacar Boris Diop rappelait que « les Rwandais n’ignorent pas qui ils sont : nous sommes tous des fils et des filles de Gihanga, notre ancêtre commun aux Hutus, Tutsis et Twas. Tel est notre mythe fondateur. »

Quoi qu’en disent certaines ONG et certains journalistes dont on peine de moins en moins à déceler les motivations et les intentions, la société rwandaise doit se protéger de ceux qui veulent exploiter le divisionnisme et l’ethnisme à des fins politiques.

Le gouvernement rwandais n’est sans doute pas exempt de critiques et chacun peut débattre de son action, depuis la fin du génocide, mais il est important de rappeler qu’il lui revient la lourde tâche de bannir à tout jamais du Rwanda les idées et l’idéologie de ceux qui ne manqueront pas, si on leur en laisse la possibilité, d’utiliser les ressorts du racisme et de la haine pour se faire une place sur la scène politique rwandaise.

Sources :

www.orinfor.gov.rw

www.orinfor.gov.rw

www.afriqueexpansion.com

www.rfi.fr


* : à M. Philippe Bernard

On laissera à chacun le loisir de se faire une opinion sur la déontologie et les méthodes de ce « journaliste » du Monde, M. Philippe Bernard, qui écrira à propos d’une agression subie par Mme Ingabire en 2010, qu’elle était « probablement organisée par le pouvoir ».

M. Bernard, qu’entendez-vous par « probablement » ?

Voulez-vous dire que c’est « possiblement », « plausiblement », « prévisiblement » ou « vraisemblablement », selon vous, que le pouvoir rwandais aurait organisé cette agression ?

Sans aucunement écarter toutes les possibilités - y compris gouvernementales - quant aux commanditaires de cette agression, nous serions heureux de lire les éléments qui vous permettaient alors de faire une telle affirmation...

Mais « probablement », « possiblement », « plausiblement », « prévisiblement » ou « vraisemblablement », nous n’avons pas la même idée de ce que doit être la rigueur du travail journalistique. Sauf bien sûr quand ce dernier sert des causes et des intérêts que nous ne prendrons pas la peine de détailler ici.


Illustrations Tharcisse Karugarama (ministre rwandais de la Justice - Rwanda) & Jean-Damascène Bizimana (Sénateur).

Safari collabore au site d’information Medialternative et au collectif libertaire Ad Nauseam.

« Nous n’avons rien appris, nous ne savons rien, nous ne comprenons rien, nous ne vendons rien, nous n’aidons en rien, nous ne trahissons rien, et nous n’oublierons pas. »

 12/11/2012

[1"LES FANTASMES MEURTRIERS DE L’ETHNOLOGIE COLONIALE : Conversation entre Boubacar Boris Diop et Scholastique Mukasonga - à propos de Notre-Dame du Nil

 Vos commentaires

 En image

 documents

Loi n°18/2008 du 23 juillet 2008
pdf
Loi n°18/2008 du 23 juillet 2008 - Ministère de la Justice (République du Rwanda)

Articles référencés 

O. NGENZI & T. BARAHIRA :Premier procès en 2016
31/07/2016
Rwanda 1994 : « Un génocide sans importance ? »
8/07/2016
Procès Ngenzi/Barahira : arrêts officiels de la cour d’assises
7/07/2016