M23 à Goma : va-t-on enfin s’attaquer aux racines de cette crise

Safari - 22/11/2012
Image:M23 à Goma : va-t-on enfin s'attaquer aux racines de cette crise

Un mal pour un bien ? 18 ans, ça suffit !
Goma sous contrôle du M23 : et après ?

A Goma, nul ne sait comment va évoluer la situation.

Combien de temps les troupes du M23 vont-elles tenir la ville ?

Si plusieurs scénarios sont possibles, le communiqué commun signé des présidents congolais, rwandais et ougandais laisse penser que le M23, complètement isolé et dont les leaders sont menacés de sanctions internationales, ne pourra durablement s’installer dans la capitale du nord Kivu.

Paradoxalement, la prise de Goma par le M23 pourrait bien être un pas vers un règlement des conflits dans la région et la sécurisation des deux Kivu. Et un atout, tant au plan national qu’international, pour Joseph Kabila ...

A la suite de leur rencontre ce mercredi 21 novembre 2012 lors de Conférence internationale sur la région des Grands lacs (CIRGL), à Kampala, les présidents ougandais Yoweri Museveni, rwandais Paul Kagame et congolais Joseph Kabila ont exigé des rebelles du Mouvement du 23 mars (M23) qu’ils se retirent de Goma, ville qu’ils occupent depuis la veille.

 » Lire notre article : Les rebelles du M23 ont pris Goma

Cette déclaration commune fait notamment suite aux injonctions de l’ONU (résolution n° 2076) et aux appels des organisations humanitaires, dont la FIDH et ses organisations membres en République démocratique du Congo, qui s’affirment « vivement préoccupées par le sort des populations ».

Que va-t-il se passer à Goma ?

Les trois scénarios (Afrikarabia)

Pour Christophe Rigaud (Afrikarabia), il existe au moins trois scénarios possibles :

Le premier : pousser Joseph Kabila à négocier et à faire des concessions. Après avoir demandé la reconnaissance des accords du 23 mars (...) le M23 a élargi ses revendications. Il parle maintenant d’un changement de gouvernement et de revenir sur les élections « truquées » de 2011.

Deuxième scénario : le M23 poursuit son avancé et s’emparant d’autres villes… et pourquoi pas faire route sur Kinshasa. Beaucoup de rebelles ne cachent plus leur volonté de voir le président Kabila « partir ». Et il ne partira que par la force.

Troisième scénario : le pourrissement. Le M23 « s’enferme » dans Goma, qu’il administre pour continuer d’avoir la main sur cette région riche ressources minières. Le Nord-Kivu deviendrait alors une simple annexe du Rwanda voisin.

A l’instar du département d’état des États-Unis [1], tous conviennent qu’une solution durable ne sera trouvée sans que ne soient réglés les problèmes d’insécurité en République Démocratique du Congo, solution qui doit impérativement passer par une solution politique concertée entre l’état congolais, le Rwanda et l’Ouganda mais aussi les autres états de la région : il faut enfin s’attaquer aux racines de cette crise.

C’est ce qu’avait affirmé dès le 20 novembre la ministre rwandaise des Affaires étrangères, Louise Mushikiwabo, rappelant que « ce qui s’est passé aujourd’hui à Goma montre clairement que l’option militaire pour apporter une solution à cette crise a échoué et que le dialogue politique est la seule façon de résoudre le conflit en cours », ajoutant que son pays continuerait à travailler « en vue d’une paix totale et durable dans notre région ».

Le Rwanda a par ailleurs toujours rejeté les accusations de soutien au M23 portées contre lui par la RDC et l’ONU. Le Président Kagame a, à ce sujet, déclaré : « le fait même que je sois ici [à la CIRGL à Kamapala (Nda)] montre que je veux contribuer à trouver une solution au problème ».

Les présidents Yoweri Museveni, Paul Kagame et Joseph Kabila, alors qu’ils appelaient dans ce communiqué commun le M23 « à cesser immédiatement son offensive et se retirer de Goma » ont également fait part d’un « plan » transmis à cette fin au mouvement rebelle, selon Radio Okapi.

« D’après le même communiqué, les présidents Museveni et Kagame ont dit clairement, que même s’il existe des revendications légitimes de la part du groupe mutin connu sous le nom de M23, ils ne peuvent accepter l’extension de cette guerre ou accepter l’idée d’un renversement du gouvernement légitime de RDC ou d’un affaiblissement de son autorité. »

Ce communiqué commun des trois présidents indique également que le gouvernement congolais a pris l’engagement de rechercher promptement les causes des désordres à l’Est de son territoire et d’y remédier du mieux qu’il peut.

C’est sans aucun doute du règlement de ces « désordres » que naîtra une solution et une entente durable entre tous les états de la région.

Un mal pour un bien ?

La prise de Goma par le M23 aura causé des morts et entraîné de nombreux réfugiés (on parle de 60 000 à 100.000 réfugiés). Mais paradoxalement, de cette occupation de la ville par le mouvement rebelle pourrait sortir des choses positives pour les habitants du Kivu et des pays frontaliers.

Comme l’a rappelé le département d’état américain, une solution durable passe par une réforme du secteur de la sécurité en République Démocratique du Congo (« A durable solution will require security sector reform in the DRC »). Réforme des forces armées congolaises (FARDC), dont nous rappelions hier qu’elles sont l’une des principales causes d’insécurité pour les populations du Kivu (lire notre article Les rebelles du M23 ont pris Goma et le document que nous y avons publié, le rapport Prendre position sur la réforme du secteur de la sécurité co-signé en avril 2012 par 13 organisations et réseaux congolais et internationaux). Ce rapport met en avant l’absolue nécessité d’une réforme urgente des forces armées congolaises, responsables de nombreuses exactions sur les populations du Kivu, et plus particulièrement les populations paysannes et les femmes.

Une enquête menée auprès de plus de 10 000 ménages dans les provinces du Nord et du Sud Kivu a désigné les FARDC comme la deuxième source la plus fréquente d’insécurité, après le banditisme. Avec même « un nombre d’exactions commises supérieur au nombre des atteintes perpétrées par les groupes armés »...

Une solution durable implique aussi que soient définitivement mis hors d’état de nuire les Forces démocratiques pour la libération du Rwanda [FDLR], ces forces armées constituées après le génocide des Tutsi de 1994 suite à l’exfiltration, par l’armée française (opération Turquoise), des milices (Interahamwe), des militaires et des politiciens rwandais responsables du massacre de près d’un million de Rwandais. Cette armée FDLR est également l’une des causes de l’insécurité au Kivu, ces troupes étant notamment responsables des très nombreux viols et pillages à l’Est du Congo.

Laurent Fabius, ministre français des Affaires étrangères, semble aujourd’hui s’inquiéter du sort des populations des Grands Lacs et du Kivu et appelle à revoir le mandat de la MONUSCO. Cette dernière est notamment chargée de « surveiller l’application de l’embargo sur les armes et de saisir ou récupérer toute arme ou matériel connexe dont la présence dans le pays serait une violation de cette l’interdiction ». L’ancien ministre de François Mitterrand (lire sur Izuba « Inoubliable Mitterrand »), qui « se félicite que le Conseil de sécurité ait prévu de réexaminer le mandat et les moyens de la MONUSCO dans les plus brefs délais pour lui permettre de mieux assurer sa mission de protection des civils », se garde cependant bien de rappeler que la France aura continué à livrer des armes aux forces génocidaires installées par ses soins au Kivu (et notamment aux alentours de Goma...), et ce jusque plusieurs mois après la fin du génocide de 1994... et malgré l’embargo.

Ainsi, si le gouvernement congolais doit aujourd’hui sincèrement tout mettre en œuvre pour sécuriser son territoire, lutter efficacement contre les groupes armés et préserver la sécurité de ses populations, la communauté internationale et l’ONU ont une grande part de responsabilité dans la déstabilisation de la région, depuis maintenant 18 ans, très largement liée au fait que le Haut Commissariat aux Réfugiés [HCR], à l’époque, avait permis aux forces génocidaires rwandaises de s’installer à la frontière rwandaise. Le HCR et la communauté internationale avaient même nourri les anciens alliés de la France en déroute, les laissant, comme l’auront montré de nombreux rapports et études, prendre le contrôle des camps de réfugiés en même temps qu’ils prenaient en otage les populations rwandaises qu’ils avaient forcées à fuir au Kivu.

Et la France aura joué dans la mise en place de cette situation mortifère un rôle crucial, allant, nous l’avons dit plus haut, jusqu’à continuer à armer, pendant le génocide puis ensuite au Congo et malgré l’embargo, les militaires rwandais et miliciens responsables du génocide des Tutsi, dont ils avaient par ailleurs encadré la formation quelques années plus tôt.

 » Lire sur ce site : La responsabilité de la France dans les guerres au Congo ex-Zaïre de Jacques Morel

ONU : livraisons d’armes illicites dans la région des Grands Lacs

Commission internationale d’enquête des Nations Unies sur les livraisons d’armes illicites dans la région des Grands Lacs (S/1998/1096 - 18 novembre 1998)

En marge du rapport final de la Commission internationale d’enquête des Nations Unies sur les livraisons d’armes illicites dans la région des Grands Lacs (S/1998/1096 - 18 novembre 1998), peut-on lire :

« Le 13 août 1998, le Président a écrit au Ministre français des affaires étrangères pour demander si le Gouvernement français était au courant des constatations du Ministre suisse de la justice concernant la Banque nationale de Paris (BNP) et un courtier sud-africain en armements, Willem Ehlers, qui étaient exposées dans le rapport de la Commission (S/1998/63, par. 16 à 27). La Commission a demandé également si le Gouvernement français faisait une enquête sur cette question. La Commission n’a pas encore reçu de réponse du Gouvernement français. »

Lire sur ce site : Il faut juger les hommes politique, diplomates et militaires français complices du génocide des Tutsi par Bruno Gouteux

Appelant la MONUSCO à se donner aujourd’hui les moyens de protéger les population du Kivu, Laurent Fabuis semble donc se démarquer de son mentor, le président Mitterrand, pour qui "dans ces pays-là, un génocide, ce n’est pas trop important » [2].

Au-delà des condamnations de principe et des postures diplomatiques, on attend donc de la France qu’elle s’engage aujourd’hui à entreprendre de réparer ce à quoi elle aura plus que largement participé : la destabilisation de toute la région des Grands Lacs.

Le communiqué commun des trois présidents laisse se dessiner la possibilité d’un règlement politique de cette situation dramatique, au Kivu, qui n’a que trop durée. Espérons que malgré les va-t-en guerre (et notamment les idiots utiles qui, au Congo, en appellent à faire la guerre au Rwanda), des solutions enfin respectueuses des populations du Kivu sauront se dessiner.

Et qu’enfin la France tout comme la communauté internationale prennent leur part de responsabilité pour résoudre une situation dramatique qu’ils ont œuvré à mettre en place.

« C’est depuis presque 20 ans que ces populations sont dans l’instabilité, le tourment, le viol et la misère. »
Abbé Nicolas Djomo Lola*

De Bukavu à Goma, de Beni à Kindu, de Kinsangani à Fisi, les Congolais ont aussi droit à la paix et à la sécurité.

Un atout pour Joseph Kabila ?

Élections présidentielles 2011 : le Sénat américain réclamait un recomptage là où les voix en faveur de Kabila furent plus nombreuses que les votants inscrits...

Le processus électoral des dernières élections présidentielles en RDC est considéré comme entaché d’irrégularités et non crédible par de nombreuses organisations internationales, dont le Centre Carter et la Mission d’observation des élections de l’Union européenne, tout comme par de très nombreux Congolais.

Un Président « mal élu », une armée corrompue, à tel point que la MONUC se voit parfois obligée de protéger les populations civiles des violences qui sont le fait de leurs propres forces armées...

La prise de Goma par le M23, tout comme la situation dramatique de l’Est du Congo [3] ont surtout été jusque là utilisées pour détourner la légitime colère des Congolais sur leurs voisins. Vieille technique politique que la dénonciation d’un bouc émissaire supposé être responsable de tous les malheurs du monde...

A défaut d’avoir obtenu la légitimité par les urnes, Joseph Kabila pourrait tirer profit de la situation en tentant de porter le costume d’un véritable homme d’état à l’issu de ce conflit armé.

Dores et déjà, ses appels à la « résistance » et à la « défense de la souveraineté nationale » lui donnent plus de crédibilité que les innombrables et immenses affiches à son effigie qui, dans un style qui ne déplairait pas aux concepteurs de la propagande d’état de l’ex-URSS, décorent les rues de Kinshasa.

Mais Joseph Kabila aura-t-il réellement la possibilité (ou la volonté) d’entreprendre les réformes nécessaires - de l’armée, bien sûr, et, partant, de l’économie et des institutions congolaises - qui lui permettraient d’apparaître comme autre chose qu’un homme de paille grotesque à la tête d’une kleptocratie cynique et corrompue qui tire un maximum de bénéfice de la mise en exploitation [par d’autres...] des richesses du Congo - « scandale géologique** », plus grande mine de l’Afrique et du monde ?

Rien n’est moins sûr...


La rencontre entre Joseph Kabila et Paul Kagame

La veille de la publication de ce communiqué, ce mardi 20 novembre, Joseph Kabila et Paul Kagame, s’étaient entretenus pendant deux heures en tête-à-tête avant de se réunir avec leur homologue ougandais, Yoweri Museveni, qui les recevait, à Kampala, dans le cadre de la réunion extraordinaire de la Conférence internationale de la région des Grands Lacs (CIRGL).


* : Nous citons ici le président de la Conférence épiscopale nationale du Congo (Cenco), l’abbé Nicolas Djomo Lola, mais il est important de rappeler qu’une enquête onusienne publiée en novembre 2009 a mis au grand jour un réseau international de soutien aux organisations qui exploitent et terrorisent l’est de la République démocratique du Congo (RDC), réseau parmi lesquels on retrouve des religieux et des organisations catholiques qui, sous la bannière ecclésiastique, ont joué un rôle crucial aux côtés des Forces démocratiques pour la libération du Rwanda (F.D.L.R), responsables de trop nombreux viols et exactions au Kivu.

Lire à ce sujet l’article de Jean-Claude Ngabonziza, Golias magazine n°131 - ou sur ce site, Enquête sur les réseaux d’Eglise au service des génocidaires.

** : On attribue souvent la paternité de cette expression « scandale géologique » au géologue belge Jules Cornet qui, en 1892, lors d’une expédition en République démocratique du Congo, se serait exclamé : « le Katanga… ce scandale géologique ! » au vu des très nombreux minerais présents dans le sol de cette région. A voir, sur le site de RFI, une carte des minerais du Congo.

Safari collabore au site d’information Medialternative et au collectif libertaire Ad Nauseam.

« Nous n’avons rien appris, nous ne savons rien, nous ne comprenons rien, nous ne vendons rien, nous n’aidons en rien, nous ne trahissons rien, et nous n’oublierons pas. »

 22/11/2012

[1« We underscore the importance of a long-term solution to the instability in the eastern DRC. A durable solution will require security sector reform in the DRC and political dialogue with Rwanda and Uganda and the other relevant states in the region to address the root causes of the crisis. »

[2Confidence de Mitterrand faite à l’un de ses proches, rapportée par Le Figaro du 12/01/1998.

[3mais peut-on dire que les autres régions congolaises soient vraiment mieux loties...

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