La Coopération militaire entre « l’Afrique » et la France

Safari - 16/09/2004
Image:La Coopération militaire entre « l'Afrique » et la France

Soutien français aux dictateurs
Arcanes et rouages de la coopération militaire françafricaine

Les accords qui unissent la France avec beau nombre de dictatures africaines sont tenus secrets. Même les élus du Parlement français ne peuvent y avoir accès... Et pour cause.

Ces derniers sont un gage pour les dictateurs africains que la France, par la toute puissance du chef des armées de notre néo-monarchie présidentielle (Le Président de la République française) fera intervenir l’armée, et si l’opinion nationale s’y oppose, tout ce que notre pays compte d’anciens militaires « barbouzards », de mercenaires pour intervenir contre les populations africaines pour sauver ces dictateurs en cas de soulèvements populaires. Les médias français, complètement en connivence avec les services (DGSE, DST) et l’ armée ne relatent jamais ces opérations musclées de l’armée française. Opérations de répression contre les populations qui assez logiquement veulent se débarrasser des dictateurs que nous leur imposons.

On ne compte plus les interventions militaires françaises sur le continent africain ayant pour seul but de maintenir au pouvoir des dictateurs « amis de la France » contre la volonté des peuples (Le Gabon en est sans doute le meilleur exemple).
Plus discrètement encore, suivant ces « accords », l’armée française forme, arme et entraîne les gardes présidentielles de nombreux dictateurs.

Ces gardes prétoriennes, souvent à composante ethnique, sont les seules armées vraiment organisées et efficaces des dictateurs qui bien évidemment les utilisent pour maintenir l’ordre, donc museler les populations, faire taire les opposants, les journalistes,...

La Coopération militaire entre « l’Afrique » et la France

Survie

Au lendemain des indépendances, la France a prolongé ses liens étroits avec ses anciennes colonies en menant une politique de coopération multiforme, tant sur les plans technique et culturel, qu’économique et militaire, visant à garantir une stabilité apte à conforter son influence. Cette politique, impulsée par le général de Gaulle et reproduite par ses successeurs, apparaissait aussi comme la volonté de garder à la France son statut de grande puissance aux côtés des Etats-Unis ou de la Russie, tout en se ménageant un espace protégé aux Nations Unies.

Ses crises actuelles n’empêchent pas l’Afrique de demeurer un enjeu géopolitique.

Les risques graves qui menacent plusieurs pays tendraient plutôt à accroître la vigilance des puissances occidentales : au lieu d’avoir à gérer les débordements des crises nationales successives (Somalie, Rwanda, Libéria, Soudan ...), elles préfèreraient les contenir par des pressions politiques et économiques fortes. Multiplication des conflits locaux, difficultés de construction des Etats, instabilité du pouvoir, croissance du commerce des armes : autant de failles, autant d’arguments avancés pour la conclusion ou la prolongation d’accords de coopération militaire franco-africains, qui en viennent aujourd’hui à concerner 23 pays.

Les premiers ont été signés aussitôt après les indépendances, d’autres datent du début des années quatre-vingt. Tous sacrifient au dogme de la stabilité, quitte à sacrifier aussi des populations à l’enkystage, durant plusieurs décennies, de régimes dictatoriaux.

L’obsession de la stabilité

Quelles qu’aient été les évolutions des données géopolitiques mondiales, la France continue d’accorder la priorité aux problèmes de sécurité. Elle tend à considérer la stabilité politique comme une valeur en soi, supérieure au développement et au progrès de l’Etat de droit - et non pas seulement corollaire ou concomitante. Du coup, l’Etat a systématiquement raison contre la population - dussent ses occupants, comme au Rwanda, pousser jusqu’au génocide la manipulation raciste. Le dernier Sommet franco-africain de Biarritz (novembre 1994) a enfoncé le clou de la sécurité, tout en remettant à l’honneur les plus célèbres champions de la répression sanglante ou du sabotage de la démocratie. Ainsi, le noble objectif de départ - sauver de l’anarchie et du sous-développement -, conduit à une sinistre caricature, qu’illustrent bien les terribles perversions que connaissent en certains pays, et chez certains de nos militaires, les mots « services » et « sécurité ».

C’est que se conjuguent l’erreur complaisante et l’hypocrisie patente. La facilité latino-jacobine persiste à (faire) croire qu’un Etat peut, sans contre-pouvoirs réels, assurer autre chose qu’un ordre inhumain, à l’arbitraire exponentiel. Le double langage consiste à prôner la sécurité pour le développement, alors qu’on bunkérise les places fortes du pillage et des trafics en tous genres ; à prôner l’ordre au bénéfice de la société, alors que l’on favorise son encasernement. Au bout, la réalité ne retrouve pas le discours.

Le droit sacrifié

Le discours officiel doit donc se renouveler, augurer de nouveaux horizons : « Moins de milices ou de commandos parachutistes, mais des forces de gendarmerie ou de police, respectueuses des principes républicains, rendraient sans doute à la stabilité de vos Etats de meilleurs services », lançait François Mitterrand lors de la séance inaugurale du Sommet de Biarritz. Mais, dans la pratique, la France arme, équipe et forme des milices claniques... Les avocats de la présence militaire française ne sont pas à court d’arguments : « nous le faisons mieux que d’autres », ou « nous allons là où nous sommes utiles, là où il y a des progrès à faire »...

En réalité, nulle part, jamais, le choix du droit n’est vraiment fait : ni celui de l’Etat de droit comme élément central de la sécurité des populations, et de l’économie ; ni celui du droit républicain et du droit international, dans la mesure où les relations franco-africaines sont en permanence ravalées, par l’exécutif, à la familiarité, au bon plaisir, aux passe-droits et aux bakchich. L’armée française, généralement disciplinée, se voit ainsi contrainte d’exercer ses missions dans un contexte pervers : la « Garde républicaine » qu’elle doit épauler est évidemment tribale ; les armes ou les techniques de renseignement qu’elle procure servent aux exactions, la logistique aux trafics ; à l’extrême, on l’engage dans une opération humanitaire (Turquoise) qui couvre le repli d’un gouvernement, d’un état-major et d’un réseau de propagande génocidaires.

Cela, c’est pour les militaires légalistes. Mais trop nombreux sont ceux qui plongent dans l’aventurisme (combien de petits Lawrence ou de pseudo-Rambo), qui entretiennent la culture des « coups tordus », ou qui se dépêchent de pantoufler dans les innombrables officines parallèles de « sécurité » ou de vente d’armes.

Le choix de la France

La présence militaire française en Afrique (10 000 hommes sur le continent) est au service, dit-on, de la grandeur de la France - cette puissance moyenne qui veut se faire aussi grosse que les vrais Grands. Une certaine nostalgie de l’Empire, ajoutée au besoin de justifier sa présence au Conseil de sécurité de l’ONU, de protéger des marchés et de faire marcher des protégés, fabriquent une coopération militaire ambiguë, secrète, voire dangereuse. La France ne choisit pas le droit des populations des pays « aidés » : elle se détourne déjà, ainsi, de sa grandeur la plus universellement reconnue, sa devise « Liberté, Egalité, Fraternité ».

Bien plus, elle ne choisit pas ses propres intérêts. Son rôle à l’ONU ne sera pas renforcé par les votes stipendiés de quelques dictatures militaires. Sa langue sera vomie si elle finit par trop évoquer la tyrannie. Et ces ruineux marchés baignant dans la corruption, plusieurs fois payés par le contribuable (via la COFACE et l’aide publique au développement), s’effondreront pour n’avoir jamais su installer la seule vertu commerciale durable : la fiabilité des produits et des services.

On le voit, ce sont moins les dérives ou les errements de la présence militaire française en Afrique qui sont ici en cause, que l’impossibilité de lui assigner des objectifs équitables sans que soient restaurés les fondements de rapports équitables entre la France et l’Afrique.

Arcanes et rouages de la coopération militaire

Qui décide ?

Les affaires africaines constituent le domaine réservé de l’Elysée. La coopération militaire faillit d’autant moins à la règle que le Président de la République est aussi le chef des armées. C’est le ministre de la Coopération qui met en oeuvre les directives du chef de l’Etat aux plans technique et financier.

Toutefois, la caractéristique majeure de l’organigramme de la coopération militaire est un fractionnement des compétences. Du chef de l’Etat (et son conseiller aux affaires africaines) au ministre de la Coopération ou au ministre de la Défense, en passant par le Premier ministre, le Quai d’Orsay ou le Secrétaire général de la défense nationale, tous s’estiment concernés et responsables de la politique menée.

La coopération militaire stricto sensu ne recoupe que les conventions d’assistance militaire techniques, tandis que les accords de Défense, conclus avec le « noyau dur » des pays du champ francophone, sont administrés directement par le ministère de la Défense. On se retrouve dans le cas de figure d’administrations concurrentes, gérant une politique d’autant moins harmonieuse que sa cohérence n’est tout simplement pas pensée (ni recherchée ?).

La Mission militaire de coopération (MMC) illustre cette situation. Organisme théoriquement autonome, elle est dirigée par un général, qui relève donc de la Défense, mais qui gère 17 % du budget de la Coopération... Depuis 1965, la MMC est rattachée au cabinet du ministre de la Coopération. Elle propose et exécute la politique décidée à l’Elysée, à travers cinq domaines d’action : études, finances, logistique, personnel et stages. Dans les pays concernés, les chefs de mission d’assistance militaire recueillent, filtrent et incitent les demandes des responsables africains.

Le champ d’action de la MMC est le même que celui de son ministère de tutelle. Comme ce champ, depuis les indépendances, n’a cessé de s’accroître - aux anciennes colonies belges, espagnoles et portugaises -, le nombre des pays concernés a doublé en 15 ans. Cette multiplication des partenaires fait partie d’une stratégie d’extension de l’influence française en Afrique : il s’agit non seulement d’élargir la francophonie, mais de se présenter à ces pays comme une alternative aux anciennes tutelles. C’est ainsi que la France a ravi le Rwanda, le Zaïre et le Burundi à leur parrain belge, ou la Guinée équatoriale à ses attaches espagnoles. Elle s’est substituée au grand frère soviétique dans les Etats anciennement marxistes (Guinée, Congo ...). Actuellement, des négociations sont en cours pour inclure le Mozambique, l’Angola ou le Zimbabwe .

800 millions de francs : pour quoi faire ?

Les budgets de la coopération militaire ont connu une courbe de croissance continue jusqu’en 1978, et se sont stabilisés (en francs constants) pour tourner autour du milliard de francs depuis 1984, avec une baisse sensible certaines années (820 millions en 1994). L’aide directe en matériel est plutôt en déclin depuis 1980, sauf lorsque des opérations ponctuelles requièrent une mobilisation particulière (par exemple les besoins d’armement et de véhicules de l’armée tchadienne ou rwandaise...).

Mais la fourniture de matériel militaire capte en général la majeure partie du budget global de la coopération militaire (jusqu’à 50 %). L’assistance en personnel a, elle, décliné jusqu’en 1975 pour se redresser ensuite. Quant à la formation de stagiaires étrangers, elle perd des crédits de façon significative, notamment à cause de l’implantation d’écoles militaires en Afrique. Les formations nouvelles sont de plus en plus coûteuses, notamment dans des secteurs en pleine expansion comme l’aéronautique. Former un pilote ou un mécanicien coûte très cher et les demandes abondent. La France fait des efforts financiers particuliers dans ce domaine, car elle apparait quasiment seule en Afrique.

Depuis le début de la coopération militaire, on remarque un net décalage entre le budget initialement voté et le budget final (+ 265 % en 1978... ). C’est effectivement un domaine imprévisible par excellence, les crises de certains pays ne trouvant de réponse que dans l’accroissement des budgets prévus (octroi de matériels, conseillers techniques,... ).

De plus, l’accroissement systématique du nombre des pays du champ, sans augmentation significative du budget global, oblige les premiers prétendants à partager - ce qu’ils ne font pas volontiers. Des demandes inopinées en cours d’année tentent toujours de rattraper certaines diminutions de crédits. Enfin, la crise économique persistante n’incite pas les pays africains à l’autonomie en matière de sécurité et de défense, et la tendance est à une demande toujours croissante. En l’honorant trop mal, on craindrait d’inciter certains chefs d’Etat africains à rechercher d’autres partenaires.

Cette situation provoque un climat tendu à la MMC. Les octrois complémentaires lui échappent politiquement. Ils ne sont pas couverts par le ministère de la Coopération, au budget limité, mais accroissent les charges financières dont le ministère de la Défense doit faire l’avance. Ce déficit est structurel depuis 1984. Les fonctionnaires de la MMC pratiquent un lobby incessant pour que la Loi de Finances s’accorde sur la réalité et sur les priorités politiques réelles de la France. Mais une drôle de manie veut que Paris cache ses priorités, notamment en tout ce qui concerne le continent africain. Cette façon de jongler entre les crédits initiaux et les crédits réels constitue une illustration supplémentaire du refus de transparence patenté dans les relations franco-africaines.

Liens et nœuds : les accords

La coopération militaire recouvre deux notions distinctes :

- l’assistance militaire technique, théoriquement non liée politiquement, et qui ne préjuge pas d’accords complémentaires pouvant consacrer des options communes aux deux parties. Le ministère de la Coopération, et plus spécialement la MMC, est normalement le premier interlocuteur des pays africains en la matière. Mais les compétences sont de plus en plus fractionnées, avec la montée en puissance de Matignon (Secrétariat général de la Défense Nationale), due aux périodes de cohabitation. Ce poste représente près d’un milliard de francs par an, avec 880 coopérants militaires.

Les 23 pays qui ont signé des accords de coopération militaire avec la France sont : le Bénin, le Burkina, le Burundi, le Cameroun, la Centrafrique, les Comores, le Congo, la Côte d’Ivoire, Djibouti, le Gabon, la Guinée équatoriale, la Guinée, Madagascar, le Mali, Maurice, la Mauritanie, le Niger, le Rwanda, le Sénégal, les Seychelles, le Tchad, le Togo et le Zaïre.

Certains accords datent du lendemain des indépendances, tandis que d’autres ont été établis après une rupture des relations avec la France, comme en Guinée, à Madagascar ou au Congo. D’autres pays récemment entrés dans le « champ » de la Coopération demandent à en bénéficier, comme l’Angola et le Mozambique.

Des actions ponctuelles de coopération militaire peuvent d’autre part être décidées en dehors d’accords globaux. C’est le cas en Haïti, où la France a proposé 20 millions de francs pour former et transformer une force de « police » locale (de 3 500 hommes) en une gendarmerie.

- les accords de Défense, qui créent entre les deux Etats concernés des liens très étroits. Plus qu’une alliance militaire, ils vont de pair avec une certaine harmonisation de la vie diplomatique et même avec l’existence d’institutions politiques communes .

Troupes prépositionnées, matériel, et institutions conjointes sont financés et administrés par le ministère de la Défense.

La France a des accords de Défense avec huit pays : Côte d’Ivoire, Centrafrique, Djibouti, Gabon, Sénégal, Cameroun, Comores, Togo. Des forces prépositionnées permanentes sont présentes dans les cinq premiers. Il faut souligner que, dans les accords, le concept de défense est entendu dans sa double acception : interne et externe. Cela explique certaines incursions relevant strictement de la stabilité intérieure. Les clauses par lesquelles la France peut accepter de participer à des opérations de maintien de l’ordre si un Etat lui en a adressé la demande restent secrètes. Elles ne sont pas publiées au Journal Officiel.

Ces accords mènent l’engagement français bien au-delà de la simple assistance militaire.

Ainsi, « la République gabonaise a la responsabilité de sa défense intérieure, mais elle peut demander à la République française une aide dans les conditions définies par les accords spéciaux » (secrets).

Lors des émeutes de Libreville et Port-Gentil, la France a donc pu légalement intervenir sous le prétexte de protéger ses ressortissants. L’accord de Défense autorise aussi l’armée française à utiliser les infrastructures gabonaises, à faire usage des balisages nécessaires sur le territoire et dans les eaux territoriales de la République gabonaise, les postes et télécommunications locaux..., etc. L’armée française est pour ainsi dire chez elle au Gabon - comme dans tous les pays avec lesquels elle a des accords de Défense. Moyennant quelles contreparties ? Les textes n’en parlent guère, mais on les imagine à l’usage. Cette perméabilité favorise en tout cas, pour le moins, une osmose politico-économico-militaire...

Autres exemples : le gouvernement malgache peut « faire appel au gouvernement de la République française pour l’entretien et les fournitures de matériels et d’équipements » ; l’accord de Défense avec le Togo prévoit une « assistance militaire technique fournie par le gouvernement français pour la formation en France de personnel des forces armées togolaises » et des « facilités de transit et d’escale » pour les forces armées françaises. Ces énoncés laconiques prennent bien sûr un relief particulier quand on observe les agissements de ces forces armées togolaises face aux manifestations de rue. L’Etat français oublierait-il de former les recrues togolaises à l’Etat de droit ?

Outre ces accords de Défense et d’assistance militaire, il existe des conventions particulières secrètes (non publiées au Journal officiel), par lesquelles la France peut accepter de participer à des opérations de maintien de l’ordre si un Etat lui en fait la demande. Mais ces clauses deviennent très encombrantes pour Paris, car un régime autoritaire peut être menacé sans qu’il soit possible - décemment -, pour la France, de le protéger ouvertement des revendications populaires. Ainsi, en juin 1990, la France n’a pas donné suite à une demande d’intervention de ce type de feu Félix Houphouët-Boigny. Mais rien ne dit qu’elle n’a pas répondu de façon plus détournée, pour ne pas se compromettre sans contrarier « Le Vieux ».

Bases et moyens

Les bases françaises en Afrique sont établies dans cinq de ces pays bénéficiaires d’accords de Défense : Côte d’Ivoire, Centrafrique, Djibouti, Gabon, Sénégal. La base la plus importante est celle de Djibouti, avec plus de 4 000 hommes (en comptant les administratifs). En tout, Paris entretient environ 10 000 hommes en permanence sur le continent africain, sans compter les forces temporaires, comme au Tchad ou récemment au Rwanda, qui ont considérablement diminué d’importance, si l’on considère les 58 500 soldats qui les occupaient dans les années soixante. Mais l’engagement français s’est plutôt modifié qu’amoindri. En effet, avec la création de la Force d’action rapide en 1983, trois divisions sont spécialisées sur l’Outre-mer, ce qui garantit une rapidité d’action et une efficacité nouvelle pour la France, surtout en combinaison avec les bases qui entretiennent l’infrastructure nécessaire à toute action militaire.

Contenu de l’assistance militaire française

L’assistance militaire française se décline en trois volets :

- Aide directe en matériel (environ 38 % du volume global de l’aide), finançant l’achat et l’entretien de matériel et d’équipements militaires. Après quelques tentatives d’exercer cette assistance à titre onéreux, le bureau logistique y a renoncé. Les équipements et fournitures sont procurés sans aucune contrepartie financière des Etats bénéficiaires. Le Tchad et le Sénégal sont les deux gros bénéficiaires de ce type d’aide, censé répondre aux besoins spécifiques des pays et partant donc de leurs propres commandes.

- Assistance en personnel (environ 50 % des dépenses globales de la MMC). On compte environ un millier de coopérants militaires dans les 23 pays concernés par les accords avec la France (880 en 1994). Ce n’est qu’une maigre survivance des effectifs en poste dans les colonies, ou immédiatement après les indépendances (2 500 hommes en 1962). Ce millier d’assistants militaires techniques viennent des trois armes, de la gendarmerie et des services de santé de l’armée, avec cependant une nette prédominance de l’armée de terre et de la marine.

Ces personnels portent l’uniforme des armées nationales auxquels ils sont rattachés, tout en dépendant hiérarchiquement du général, chef de la mission d’assistance militaire près l’Ambassade de France de chacun des pays concernés. Ils exercent en général des responsabilités à un niveau très élevé. En son temps, le Zaïre était très demandeur de ce genre de personnel. Le Gabon et Djibouti aussi, et, dans une moindre mesure, la Côte d’Ivoire et la Mauritanie.

- Formation des cadres militaires africains (qui absorbe environ 12 % du budget de la MMC). Considéré comme prioritaire, ce secteur se heurte à la limitation des places disponibles dans les écoles françaises, mais aussi au coût très élevé de certaines spécialités (notamment dans l’aéronautique). La Mission militaire de coopération accueille en moyenne 2 000 stagiaires par an, mais les demandes sont dix fois plus élevées. Les écoles militaires inter-africaines sont destinées à élargir les possibilités de répondre à toutes ces demandes. Elles sont implantées en Côte d’Ivoire, au Togo, au Zaïre et au Sénégal.

La France envisage d’ouvrir d’autres écoles de formation militaire que les quatre existantes, de renforcer et de créer de nouvelles forces de gendarmerie, tout en essayant de réduire les effectifs pléthoriques des armées africaines. Ce dernier effort n’est pas seulement une réponse à l’incitation du Fonds monétaire international, qui veut réduire les budgets de fonctionnement d’Etats en faillite : les « demi-soldes » ou les soldats non payés constituent en effet le premier danger pour la population qu’ils rackettent, et le premier risque de trouble de l’ordre public...

L’action de la Mission militaire de coopération revêt une importance d’autant plus forte qu’un tiers environ des Etats bénéficiaires de l’assistance militaire sont eux-mêmes des régimes militaires. Des rapports privilégiés existent fréquemment entre le général chef de la mission militaire de coopération sur place et les chefs d’Etat, souvent formés dans des écoles militaires françaises...

L’importance stratégique que la France accorde officiellement aux différents pays « du champ » peut se lire à travers les budgets d’assistance qu’elle leur accorde :

Centrafrique : 139 MFGabon : 138 MFTchad : 128 MFCôte d’Ivoire : 116,2 MFMauritanie : 102 MF Niger : 101,2 MFCameroun : 98,5 MFDjibouti : 91,4 MFSénégal : 87,7 MF Rwanda : 82,8 MFComores : 54 MFBurundi : 51,5 MFTogo : 12,5 MF (Chiffres de 1993)

Les effectifs stationnés sont eux aussi explicites :

- Djibouti : 3 880 hommes + chars, blindés, hélicoptères, avions de chasse, patrouilleur, avion-cargo de transport.

- Sénégal : 1 470 hommes + automitrailleuses légères, hélicoptères, avion- cargo, avion de patrouille.
Centrafrique : 1 340 hommes + automitrailleuses légères, hélicoptères.

- Tchad : 800 hommes + hélicoptères, avions de chasse, avion-cargo, automitrailleuses, chars, blindés.

- Côte d’Ivoire : 710 hommes + une centaine de conseillers militaires auprès du régime d’Abidjan + blindés et véhicules légers.

- Gabon : 650 hommes + une centaine d’instructeurs (encadrant aussi la garde présidentielle et se chargeant des services de « contre- ingérence » + engins blindés, avions de chasse, transport, ravitaillement.

Nul doute que ces troupes ne sont pas en Afrique pour des parades humanitaires. Bruno Delaye, responsable de la cellule africaine de l’Elysée de 1992 au début 1995, le reconnaît : « A quoi servirait de maintenir une force de 10 000 hommes en Afrique si c’est seulement pour évacuer nos ressortissants ? »

De la coopération à l’action

Les interventions françaises en Afrique (une trentaine depuis les indépendances) ponctuent la vie médiatique française au point que l’opinion publique y est presque indifférente. Il ne s’agit que de la partie émergée de l’iceberg, mais elle révèle les finalités du rôle de « gendarmerie » que la France entend tenir en Afrique, et leur évolution.

Chronologie des principales interventions militaires de la France en Afrique (1962-1994) :

- 1962, Sénégal : maintien de l’ordre après une tentative de coup d’Etat contre le président Senghor.

- 1964, Gabon : envoi de parachutistes après l’enlèvement du président Léon M’Ba, pour le remettre au pouvoir.

- 1967-1970, Centrafrique : Bokassa craignant un coup d’Etat, la France lui envoie une compagnie de parachutistes.

- 1968-1972, Tchad : participation à la lutte contre la rébellion au Tibesti (menée par l’homme du nord, Hissène Habré), à la demande du président Tombalbaye.

- 1977-1978, Zaïre : guerre du Shaba, pont aérien entre Rabat et Kolwezi, évacuation des étrangers par les parachutistes.

- 1979, Centrafrique : opération Barracuda. Deux compagnies de parachutistes aident David Dacko à renverser Bokassa.

- 1983-1984, Tchad : opération Manta, 4 000 hommes pour soutenir Hissène Habré.

- 1986, Togo : 150 hommes en soutien au président Eyadéma lors d’une tentative de coup d’Etat.

- 1986 à aujourd’hui, Tchad : opération Epervier (900 hommes).
Soutien au gouvernement tchadien contre les tentatives d’invasion de la Libye.

- 1989, Comores : 200 hommes envoyés à Moroni après l’assassinat du président Abdallah.

- 1990, Gabon : opération Requin. 2 000 hommes envoyés pour « protéger les ressortissants étrangers » après les émeutes de Libreville et Port-Gentil.

- 1990-1993, Rwanda : opération Noroît. Entre 300 et 1 000 hommes aident le gouvernement en place à repousser les assauts du FPR.

1991, Togo-Bénin : 450 hommes sur l’aéroport de Cotonou, censés répondre à une tentative de putsch contre le Premier ministre togolais à Lomé. Cette gesticulation se solde finalement par une non-intervention.

- 1991-1992, Zaïre : 1.000 hommes envoyés à Kinshasa après les émeutes anti-mobutistes.

- 1992, Angola : opération Addax. 50 hommes encadrent les élections angolaises.

- 1992, Somalie : opération Oryx. 2 100 hommes sous commandement américain dans le cadre de l’UNITAF.
1993, Somalie : 1 100 hommes sont engagés dans l’opération UNOSOM II.

- 1994, Rwanda : opération Turquoise, « intervention humanitaire » déployée à partir du Zaïre (officiellement, pour arrêter le génocide des Tutsis). Mandat de l’ONU.

Conclusions :

Au vu des dérives de la coopération militaire franco-africaine, la question de la suppression de ce type de coopération pourrait se poser, ou au moins celle de ses outils les plus visibles comme les bases permanentes.

Mais cette question débouche vite sur une autre : la coopération militaire française, en se retirant ou en voulant respecter certains principes, ne laisserait-elle pas la place à d’autres, qui en profiteraient pour grignoter la chasse gardée de la France ? Déjà, devant le refus français de financer une garde présidentielle « loyale » au président congolais Lissouba, c’est Israël qui a accepté de former cette milice.

Au prix fort : 49 millions de dollars pour cinq anciens agents du Mossad . De plus en plus d’Etats africains créent des liens avec Israël, d’Idriss Deby (Tchad), menacé par son voisin arabe du Nord, au Cameroun, au Zaïre, au Gabon, en passant par les pays sahéliens à dominante musulmane, comme le Sénégal, le Niger, la Mauritanie, voire même le Soudan ! Il convient de noter cependant qu’à part Israël (et parfois la Chine), aucun pays ne se précipite pour appuyer militairement ces régimes. Faut-il comprendre cela comme un lâchage de l’Afrique ? N’est-ce pas aussi que ces régimes sont indéfendables ? Le lâchage de l’Afrique affecte d’ailleurs beaucoup plus ses habitants que ses dirigeants.

Le problème est en réalité celui d’un double langage qui ne pourra plus longtemps être tenu. Quand des dictateurs font appel à des mercenaires israéliens, les choses sont claires pour tout le monde.

La France prétend, elle, que sa présence et sa coopération militaire sont conformes à ses valeurs, qu’elles oeuvrent en faveur de l’Etat de droit. Si c’est cette plus-value qui légitime l’investissement militaire français en Afrique, il faut qu’elle soit honorée, et perçue. S’il s’agit seulement de rivaliser avec d’autres entreprises publiques, para-publiques ou privées, fournisseurs de gorilles et de gadgets électroniques à potentats locaux, il n’est pas sûr que l’influence de la France - autre éternel prétexte - y gagne à terme.

Et l’on ne voit pas pourquoi le contribuable subventionnerait de son impôt le soutien militaire de régimes criminels et l’instruction de leurs milices : l’alibi de la solidarité internationale a des limites, comme le mépris de la devise républicaine. Il faudrait laisser alors les « privés » prendre leurs risques, et en payer éventuellement le prix, sans y compromettre notre pays.

La France ne pourra longtemps encore jouer sur tous les tableaux - du lyrisme humanitaire au cynisme trafiquant. Elle, et son armée, sont probablement capables de coopérer à l’institution de l’Afrique en communiquant l’héritage de leurs valeurs républicaines. C’est cet espoir qui fait que leur image n’est pas encore définitivement galvaudée. Mais cet espoir s’étiole.

L’heure est proche du rejet violent d’une hypocrisie qui paraîtrait invétérée - et le mensonge militaro-humanitaire ne ferait qu’accélérer ce constat. La France vaut mieux que les incartades d’un Barril, les conseils d’un Lacaze, les trafics d’armes de la DGSE, le soutien cynique aux bourreaux de Khartoum, Kinshasa, Lomé, N’Djaména,... ou elle ne vaut rien.

Si elle n’est pas capable d’inventer une coopération militaire privilégiant la sécurité des populations plutôt que de ceux qui les martyrisent, de contracter avec des pays plutôt qu’avec leurs pillards et leurs assassins (invention qui serait une contribution appréciable à l’essor du continent africain - alors l’illégitimité de sa présence militaire s’imposera comme une traînée de poudre) et il vaudrait mieux programmer vite fait son extinction.

Fiche réalisée à partir des documents de l’association Survie en 2000.

Safari collabore au site d’information Medialternative et au collectif libertaire Ad Nauseam.

« Nous n’avons rien appris, nous ne savons rien, nous ne comprenons rien, nous ne vendons rien, nous n’aidons en rien, nous ne trahissons rien, et nous n’oublierons pas. »

 16/09/2004

 Vos commentaires

Articles référencés 

Épisode 4 : LA FRANCE AIDE LES GÉNOCIDAIRES À FUIR
26/04/2024
MARSEILLE. Participation au Forum de l'European Common Space for Alternatives (ECSA)
26/04/2024
Épisode 3 : LA FRANCE LIVRE DES ARMES AUX GÉNOCIDAIRES
22/04/2024