Côte d’Ivoire : Un rapport accablant (mais partial)

La rédaction - 23/03/2011
Image:Côte d'Ivoire : Un rapport accablant (mais partial)

La guerre civile a déjà commencé
Crimes contre l’humanité en Côté d’Ivoire

Établi à la demande d’Alassane Dramane Ouattara et adressé à la Cour pénale internationale de La Haye (Pays-Bas), un rapport de 35 pages a été établi par Jean-Paul Benoit et Jean-Pierre Mignard : MEMORANDUM SUR LA SITUATION HUMANITAIRE ET DES DROITS DE L’HOMME EN REPUBLIQUE DE COTE D’IVOIRE
RELEVANT DE LA COMPETENCE DE LA COUR PENALE INTERNATIONALE
.

Les auteurs Jean-Paul Benoit et Jean-Pierre Mignard précisent que la Cour pénale internationale est tout à fait compétente pour juger certains des crimes commis en Côte d’Ivoire : la première partie du document revient en effet sur « la reconnaissance de la compétence de la CPI par la République de Côte d’Ivoire » puis sur « la qualification juridique de crimes contre l’humanité ».

Les auteurs rappellent aussi que « la Cour pourrait déclencher une enquête en saisissant son propre procureur (autosaisine), être saisie par le Conseil de sécurité des Nations unies, ou par l’un des Etats ayant signé puis ratifié le Statut de Rome, le texte qui institue la Cour pénale internationale ».

S’en suit une longue liste de meurtres, d’actes inhumains, de persécutions, de disparitions, de viols, ..., dressée en s’appuyant sur les documents de la FIDH, de la Ligue ivoirienne des droits de l’Homme (LIDHO), du Haut-commissariat des Nations Unies aux droits de l’Homme, d’Amnesty International, ...

Selon le Haut-commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme, 392
personnes sont mortes du 3 décembre 2010 au 9 mars 2011, dont au moins 27
depuis la semaine dernière. Plus de 25 000 réfugiés, la plupart de l’extrême ouest
du pays, ont fui en franchissant la frontière du Liberia.

Le Haut-commissaire aux droits de l’homme relève que sur la seule période du
16 au 21 décembre 2010 173 personnes sont mortes, 471 ont été arrêtées et 24 ont fait l’objet d’une disparition forcée. Par ailleurs, 90 cas de tortures et de mauvais traitements ont été répertoriés.

Près de 400 morts... des charniers...

Selon ce rapport, différentes sources font état de l’existence de charniers,
dont celui de N’Dotré, à la périphérie de la ville d’Abidjan, et celui d’Issia, près de
Daloa, dans le centre ouest du pays.

Enfin, selon les auteurs du rapport, « s’il est possible de dresser, au 7 mars 2011, un premier bilan de la situation humanitaire », « seuls les moyens d’investigations dont dispose la Cour pénale internationale ou ceux de la République de Côte d’Ivoire permettraient de préciser l’ampleur de cette situation ».

En effet, pour l’heure, il n’est pas possible de vérifier ces informations, tant les deux camps en lutte en Côte d’Ivoire misent sur l’arme de « la guerre psychologique » et utilisent des techniques éprouvées de manipulation et de propagande, par médias interposés. [1]

Gageons donc que les investigations nécessaires seront menées dès la sortie de la crise post-électorale pour mettre à jour les chaînes de responsabilité dans ces actes de barbarie ayant pris pour cibles des civils, hommes, femmes et enfants : en effet, « loin de représenter des actes de violence spontanés ou isolés », ces actes tombent « sous la qualification de crimes contre l’humanité tel que définie à l’article 7 du statut de Rome instituant la Cour pénale internationale ». Il s’agirait bien ici d’une tentative délibérée, organisée et encadrée de cibler une population
civile.

Les organisateurs de ces crimes que pointent les auteurs du rapport, Jean-Paul Benoit et Jean-Pierre Mignard sont : les Forces de Défense et de Sécurité, l’Alliance des jeunes patriotes pour le sursaut national (Jeunes Patriotes) - milice politique fondée et dirigée par Charles Blé Goudé - la Fédération estudiantine et scolaire de Côte d’Ivoire, le Centre de commandement des opérations de sécurité - unité d’élite de la gendarmerie - ainsi que la Garde républicaine - unité militaire de protection personnelle de Laurent Gbagbo.

Un rapport accablant... mais partial

Cependant, si des témoignages accablants sont ici rapportés concernant les agissements des forces militaires et des milices soutenant Gbagbo, une enquête sérieuse ne pourra pas - comme le font ici les auteurs du rapport - faire l’économie de la recension des crimes commis par les forces soutenant Ouattara et/ou les crimes ayant eu lieu dans les régions du Nord, contrôlées par les « Forces Nouvelles », les rebelles.

Don Mello, le porte-parole du gouvernement de Gbagbo, accuse d’ailleurs les médias internationaux d’« adopter un mutisme injustifié lorsque des crimes d’une atrocité révoltante sont commis par les rebelles » :

« (...) les exactions et des tueries commises par les rebelles dans l’ouest du pays ne sont pas loin de constituer, sinon un génocide, à tout le moins des actes y afférents. »

Espérons que la justice ne soit pas la grande perdante des tractations qui, souhaitons-le, finiront par mettre un terme à ces semaines meurtrières.

Car comme le rappelle l’International Crisis Group : « la guerre civile a déjà commencé en Côte d’Ivoire ».

Le mémorandum :


Les Ivoiriens au bord du gouffre

3 mars 2011, par Rafik Houra (Survie)

Alors que la diplomatie africaine s’implique pour une solution modérée entre Laurent Gbagbo et Alassane Ouattara, les opérations des deux camps menacent d’embraser le pays.

Depuis le début de la crise post-électorale – et même sans doute avant les élections ! -, la victoire de Ouattara ne fait aucun doute à Paris et Washington. Les déclarations sentencieuses de Sarkozy ont déjà trois mois : « aucune contestation n’est possible [Gabgbo] doit maintenant laisser le pouvoir au président élu ». Malgré les contestations bien réelles, la CEDEAO a pris les devants. Réunis au Mali, les chefs d’état-major ouest-africains ont évoqué un renversement militaire de Gbagbo pour installer Ouattara. Mettant leurs commanditaires au pied du mur, le ministre des affaires étrangères nigérian a demandé, avant toute intervention, une résolution de l’ONU. Le volontarisme nigérian est tempéré par des violences internes sporadiques et une élection présidentielle au mois d’avril. Préférant se couvrir elle-même par une résolution de l’Union Africaine, l’ONU s’est contentée de voter un renforcement « urgent » de son dispositif en Côte d’Ivoire [1]. De son côté, l’Union Africaine a repoussé la solution militaire et envoyé cinq chefs d’États négocier une sortie de crise. Vues les données du problème ivoirien, la composition de ce panel est - partiellement - affligeante.

Trois de ses membres sont des militaires du pré carré françafricain, arrivés au pouvoir par un coup d’État : Blaise Compaoré (Burkina Faso, 1987), Idriss Deby (Tchad, 1990) et Mohamed Ould Abdel Aziz (Mauritanie, 2008). Les deux autres sont arrivés au pouvoir par les urnes : Jacob Zuma (Afrique du Sud, 2009) et Jakaya Kikwete (Tanzanie, 2005).

Fermeté sud-africaine

Le 17 février, la ministre des Affaires Etrangères sud-africaine s’est démarquée de la position pro-Ouattara que l’UA avait prise en décembre. Parlant d’élections « peu concluantes », « imparfaites », elle a expliqué en détail comment l’Union Africaine pourrait revenir sur sa position initiale. Interrogée sur d’éventuels pourparlers au sujet de la crise ivoirienne pendant la visite de Zuma à Paris les 2 et 3 mars, elle a insisté sur le fait que « la solution doit principalement venir des chefs d’États africains eux-mêmes. » Cette fermeté est d’autant plus palpable que depuis début janvier, un bâtiment militaire sud-africain se trouve au large des côtes ivoiriennes.

Chahuté, Ouattara bousculé

Le panel africain s’est finalement rendu le 21 février à Abidjan. Mais sans Compaoré. Le président burkinabé est accusé depuis longtemps d’être un soutien essentiel de la rébellion ivoirienne. Celle qui tenta de renverser Gbagbo en 2002 et se trouve aujourd’hui aux côtés de Ouattara. Il a donc préféré éviter l’accueil mouvementé que les « jeunes patriotes » lui préparaient. Il faut dire que malgré sa toute fraîche – et peu crédible – réélection, les manifestations de jeunes au Burkina Faso pourraient prendre de l’ampleur. La rencontre du 22 entre le panel et Ouattara fut tendue - Zuma ne se privant pas de couper la parole à Ouattara devant la presse. Le ministre délégué aux Affaires Etrangères d’Afrique du Sud, Ebrahim Ismail Ebrahim aurait confié à l’AFP les propositions du panel : un partage du pouvoir ou une nouvelle élection présidentielle. La médiation devrait reprendre le 4 mars, à l’issue de la visite de Zuma à Paris. Mais depuis ce 22 février, les évènements sur le terrain semblent se précipiter.

« La guerre a recommencé en Côte d’Ivoire, même si personne n’ose encore le dire clairement »

Ces propos alarmant du journaliste Théophile Kouamouo montrent combien il est difficile de croire aux chances de la négociation. Fort de ses soutiens chaque camp reste inflexible. Du côté de Gbagbo, les forces de sécurité, les jeunes patriotes et ses alliés sud-africains et angolais. Du côté Ouattara, les rebelles, ses alliés des forces « impartiales », l’ONU, la France et les États-Unis. Au milieu, les Ivoiriens pris en étau, victimes d’enjeux politiques et stratégiques... Dans le centre ouest, après des incidents intercommunautaires meurtriers en janvier (une quarantaine de morts selon Amnesty International), il y a eu d’importants déplacements de population. Le long de la frontière libérienne, les rebelles, qui contrôlent la moitié nord du pays, ont progressé vers le sud. Une frontière franchie par 45 000 Ivoiriens depuis trois mois, selon le HCR. À Abidjan, les forces de sécurité (FDS) pro-Gbagbo terrorisent certains quartiers et mènent des opérations contre le « commando invisible [2] ».

Ce dernier, fortement équipé, opère depuis le quartier d’Abobo – majoritairement pro-Ouattara -, où il a occasionné depuis mi-janvier d’importantes pertes dans les rangs des FDS. Fuyant les combats, des milliers d’habitants ont quitté Abobo. Les jeunes patriotes se mobilisent maintenant contre l’ONUCI. Ban Ki-Moon a dénoncé, le 28 février, une violation de l’embargo mis en place en 2004 : trois hélicoptères d’attaque biélorusses auraient été livrés à Gbagbo, à Yamoussoukro. Avant de se rétracter quelques heures plus tard ! Le comité des sanctions de l’ONU qui s’occupe de la Côte d’Ivoire va-t-il être réactivé ? Il s’est endormi l’automne dernier sur le dernier rapport du groupe d’experts ad hoc (Billets d’Afrique n°198).

Les coups de pouce de Paris

En attendant une intervention plus musclée, Paris a répondu à l’appel de Ouattara pour des sanctions économiques contre le régime de Gbagbo. En moins de deux mois, quatre trains de sanctions ont été adoptés par l’UE. Outre les 91 personnalités visées, les bateaux européens ont interdiction de se rendre dans les ports ivoiriens, avec des conséquences sur les exportations de cacao mais aussi sur les importations médicales et alimentaires.

Les filiales ivoiriennes des banques occidentales, au premier rang desquelles, la BNP-Paribas et la Société Générale ont fermé, paralysant un peu plus l’économie ivoirienne.

3 mars 2011 par Rafik Houra (Survie)

___

[1] Deux mois après, aucun signe de ce renforcement.

[2] Une rumeur attribue la direction de ce commando à Ibrahim Coulibaly (IB), condamné par contumace à Paris en 2008.


Illustration : capture d’écran d’un film faisant état de l’assassinat de 6 femmes par les Forces de Défense et de Sécurité, film étant par ailleurs au centre d’une controverse car ayant fait l’objet d’une tentative d’« analyse » tendant à démontrer qu’il s’agit d’un « trucage » de propagande.

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 23/03/2011

[1Nous avons d’ailleurs pris soin de référencer, dans notre dossier Présidentielles ivoiriennes, des sites et des journaux proches de chacun des deux camps afin de réduire tout risque de se voir manipulés par ces discours partisans.

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