Agathe Kanziga Habyarimana, toujours sans papiers

Bruno Gouteux - 21/06/2013
Image:Agathe Kanziga Habyarimana, toujours sans papiers

La plus célèbre « sans-papiers » de France
« participation (...) à l’élaboration et à la préparation de massacres sur une base ethnique »

La veuve du président Habyarimana est toujours « sans-papiers », soit sans titre de séjour, en France.

Le Conseil d’Etat a de nouveau rejeté une demande déposée par l’ancienne Première dame du Rwanda, Agathe Kanziga, concernant la procédure qui l’oppose au Préfet de l’Essonne, celui-ci ayant refusé de lui délivrer un titre de séjour.

Depuis bientôt seize ans [1], Agathe Kanziga vit sans-papiers en France, à Courcouronnes (Essonne), et s’est vue refuser l’asile politique, dont sa première demande remonte à la fin avril 2004, d’abord par l’OFPRA, ensuite par la Commission de Recours des Réfugiées, décision confirmée par deux fois par le Conseil d’État en raison des présomptions pesant sur elle quant à ses responsabilités à la tête du groupe ayant préparé et planifié le génocide des Tutsi, en 1994, au Rwanda.

Agathe Kanziga aura été exfiltrée en France par l’armée française, dans le cadre de l’opération Amaryllis, parmi les premières personnes évacuées du Rwanda pendant le génocide, à la demande de François Mitterrand. Le président français aura également ordonné le versement d’une « aide d’urgence pour les réfugiés rwandais » au seul bénéfice de celle qui est présentée comme membre de l’« Akazu », le premier cercle du pouvoir ethniste qui a planifié le génocide des Tutsi, en 1994.

Ainsi, en France, dès octobre 2009, la Commission de recours aux réfugiés avait pris « acte de la réalité de son départ du pays le 9 avril 1994, diverses indications révèlent également ses interventions, depuis l’étranger, dans les affaires intérieures rwandaises, en liaison continue avec des personnalités du gouvernement intérimaire, impliquées dans le génocide, et sa tentative de mettre à leur service ses accointances au sein de la communauté internationale », ajoutant que « ces développements permettent dès lors d’établir la réalité de l’influence prépondérante de l’intéressée dans le fonctionnement du pouvoir politique tel qu’il s’est réellement exercé au Rwanda de 1973 à 1994, notamment par un rôle de coordinatrice occulte de différents cercles politique, économique, militaire et médiatique, de souligner également la réalité de son positionnement prépondérant au sein de ce qui a été désigné comme l’Akazu, au sens d’une confrérie fondée sur des liens familiaux, d’affaires ou d’intérêts impliquée dans l’exercice autoritaire du pouvoir par l’intermédiaire de structures de violence organisée, de déterminer enfin sa participation, au sein de ces différentes structures, à l’élaboration et à la préparation de massacres sur une base ethnique d’avril à juillet 1994 ».

En octobre 2009, c’est au tour du Conseil d’Etat de refuser la demande d’asile qu’elle avait présentée cinq ans auparavant, arguant qu’il y avait des « raisons sérieuses de penser » à son implication « en tant qu’instigatrice ou complice à la commission du crime de génocide, entendu au sens des stipulations de l’article 1er, F, a) de la convention de Genève » au Rwanda.

Agathe Kanziga fera ensuite une demande de titre de séjour à la Préfecture de l’Essonne, titre de séjour qui lui sera refusé le 4 mai 2011 et motif pour lequel le Conseil d’État aura rendu un arrêt le 5 juin dernier.

Mais en plus de ces procédures administratives liées à l’obtention du statut de réfugié ou d’un titre de séjour, des procédures judiciaires ont été lancées contre elle en France et au Rwanda : le 13 février 2007, le Collectif des Parties Civiles pour le Rwanda [CPCR] déposait une plainte contre Agathe Kanziga et se portait partie civile, ce qui donnera lieu à l’ouverture d’une information judiciaire en mars 2008. L’année suivante, le Rwanda lancera un mandat d’arrêt international contre Mme Kanziga, aboutissant à une demande d’extradition refusée par la France en septembre 2011...

Ci-dessous, en quelques dates [2], le rappel des procédures liées à Agathe Kanziga en France :

Entre procédures judiciaires (plainte déposée par le Collectif des Paris Civiles en février 2007 et demande d’extradition - refusée fin septembre 2011- suite au mandat d’arrêt international émis par le Rwanda pour « génocide et crimes contre l’humanité ») ;
et procédures administratives liées à la régularisation de son séjour en France, la préfecture de l’Essonne ayant refusé de lui délivrer un permis de séjour en mai 2011 alors que lui sera refusé quelques années plus tôt l’asile politique.

Pour l’heure, suite à l’arrêt du Conseil d’Etat, Mme Kanziga est encore en séjour irrégulier sur le sol français.

Sera-t-elle expulsée ? Jugée ? Extradée ?

Son sort est maintenant entre les mains du Ministère français de l’Intérieur, qui devrait prendre la décision finale [3].

Agathe Kanziga Habyarimana en quelques dates

1942 : Naissance dans la préfecture de Gisenyi.

5 juillet 1973 au 6 avril 1994 : femme de Juvénal Habyarimana, alors président de la République du Rwanda, et de ce fait Première dame du pays.

6 Avril 1994 : exflitration vers Bangui, puis vers la France, d’Agathe Kanziga, veuve du Président Juvénal Habyarimana, dans le cadre de l’opération Amaryllis.

Octobre – Novembre 1994 : Agathe Kanziga quitte la France pour le Zaïre où elle assiste aux obsèques de son mari, à Gbadolite, puis séjourne en Afrique avant de gagner le Gabon.

1998 : installation en France, où elle est « sans titre de séjour ».

Juillet 2004 : Agathe Kanziga présente une demande d’asile comme réfugiée à l’OFPRA.

4 janvier 2006 : l’OFPRA rejette la demande. Agathe Kanziga fait alors appel à la Commission de Recours des Réfugiés [CRR].

25 janvier 2007 : CRR rejette son appel.

13 février 2007 : le Collectif des Parties Civiles pour le Rwanda [CPCR] dépose une plainte contre Agathe Kanziga.

16 mai 2007 : Le parquet d’Evry ouvre une information judiciaire contre X pour « complicité de génocide et de crime contre l’humanité », après la plainte déposée contre Agathe Kanziga Habyarimana.

13 mars 2008 : après le dessaisissement du parquet d’Evry, ordonnance de dessaisissement au profit de Paris et ouverture d’une information judiciaire.

16 octobre 2009 : le Conseil d’Etat rejette le recours en contestation. Agathe Kanziga se voir refuser le statut de réfugié.

Octobre 2009 : le Rwanda lance un mandat d’arrêt international contre Agathe Habyarimana Kanziga.

Décembre 2009 : Agathe Kazinga effectue une demande de permis de séjour auprès de la Préfecture de l’Essonne.

2 mars 2010 : Agathe Kazinga est arrêtée mais très vite relâchée.

4 mai 2011 : la préfecture de l’Essonne refuse de lui délivrer un permis de séjour.

6 octobre 2011 : Le tribunal administratif de Versailles annule le décret du 4 mai 2011 et demande au préfet de délivrer à Agathe Kanziga un permis de séjour d’un mois au titre « de la vie privée et familiale ».

28 septembre 2011 : La France refuse d’extrader Agathe Kazinga vers le Rwanda.

21 décembre 2012 : Arrêt de la Cour administrative de Versailles, qui réitère sa demande au Préfet de l’Essonne.

4 juin 2013 : Le Conseil d’Etat annule l’arrêt du 21 décembre 2012 de la cour administrative d’appel de Versailles et rejette le jugement du 6 octobre 2011 du tribunal administratif de Versailles, ainsi que la demande présentée par Mme Kanziga devant le tribunal administratif de Versailles et ses conclusions présentées devant le Conseil d’Etat au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative [4].

A lire :
ci-dessous, Le procès d’Agathe H, de Benjamain Sehene, La Nuit rwandaise n°3 (2009) ;
sur ce site :
Agathe Habyarimana interpellée en France - La veuve Habyarimana va-t-elle être extradée vers Kigali ? ;
Agathe Habyarimana doit être jugée en France - communiqué de La Nuit rwandaise

Documents

Arrêt n° 366219 du Conseil d’Etat

Conseil d’État

N° 366219

ECLI:FR:CESSR:2013:366219.20130605
Mentionné aux tables du recueil Lebon

7ème et 2ème sous-sections réunies
Mme Laurence Marion, rapporteur
M. Bertrand Dacosta, rapporteur public
SCP WAQUET, FARGE, HAZAN, avocats

Lecture du mercredi 5 juin 2013
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu le pourvoi du ministre de l’intérieur, enregistré le 20 février 2013 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat ; le ministre demande au Conseil d’Etat :

1°) d’annuler l’arrêt n° 11VE03720 du 6 décembre 2012 par lequel la cour administrative d’appel de Versailles a, en premier lieu, rejeté la requête du préfet de l’Essonne tendant à l’annulation du jugement n° 1102726 du 6 octobre 2011 par lequel le tribunal administratif de Versailles a, à la demande de Mme A...B...veuve C..., annulé pour excès de pouvoir l’arrêté du 4 mai 2011 lui refusant un titre de séjour, l’obligeant à quitter le territoire français et fixant le pays à destination duquel elle serait renvoyée et, en second lieu, enjoint au préfet de l’Essonne de délivrer un titre de séjour mention « vie privée et familiale » à Mme B...veuve C... dans le délai d’un mois à compter de la notification de l’arrêt ;

2°) réglant au fond, de faire droit à l’appel du préfet ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;

Vu le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Laurence Marion, Maître des Requêtes,

- les conclusions de M. Bertrand Dacosta, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Waquet, Farge, Hazan, avocat de Mme C... ;

1. Considérant qu’aux termes de l’article L. 311-13 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, dans sa rédaction en vigueur à la date de la décision attaquée : « Sauf si sa présence constitue une menace pour l’ordre public, la carte de séjour temporaire portant la mention » vie privée et familiale « est délivrée de plein droit : 7° A l’étranger ne vivant pas en état de polygamie, qui n’entre pas dans les catégories précédentes ou dans celles qui ouvrent droit au regroupement familial, dont les liens personnels et familiaux en France, appréciés notamment au regard de leur intensité, de leur ancienneté et de leur stabilité, des conditions d’existence de l’intéressé, de son insertion dans la société française ainsi que de la nature de ses liens avec la famille restée dans le pays d’origine, sont tels que le refus d’autoriser son séjour porterait à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des motifs du refus, sans que la condition prévue à l’article L. 311-7 soit exigée. L’insertion de l’étranger dans la société française est évaluée en tenant compte notamment de sa connaissance des valeurs de la République » ;

2. Considérant qu’il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que le préfet de l’Essonne a, par un arrêté du 4 mai 2011, rejeté la demande de titre de séjour présentée sur le fondement des dispositions du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile citées ci-dessus par Mme C..., de nationalité rwandaise, au motif que sa présence en France constituait une menace pour l’ordre public et qu’il n’était pas porté à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée ; que le tribunal administratif de Versailles a annulé pour excès de pouvoir cette décision par un jugement du 6 octobre 2011 ; que, par l’arrêt attaqué, la cour administrative d’appel de Versailles a rejeté l’appel du préfet de l’Essonne contre ce jugement ;

3. Considérant qu’il appartient en principe à l’autorité administrative de délivrer, lorsqu’elle est saisie d’une demande en ce sens, une carte de séjour temporaire portant la mention « vie privée et familiale » à l’étranger ne vivant pas en état de polygamie qui remplit les conditions prévues par les dispositions précitées du 7° de l’article L. 311-13 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile ; qu’elle ne peut opposer un refus à une telle demande que pour un motif d’ordre public suffisamment grave pour que ce refus ne porte pas une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée et familiale du demandeur ; qu’elle peut prendre en compte, sur un tel fondement, le fait qu’un demandeur a été impliqué dans des crimes graves contre les personnes et que sa présence régulière sur le territoire national, eu égard aux principes qu’elle mettrait en cause et à son retentissement, serait de nature à porter atteinte à l’ordre public ;

4. Considérant qu’il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que Mme C... a joué un rôle central au sein du régime au pouvoir au Rwanda jusqu’en 1994 ; que ce régime, pendant plusieurs années, a préparé et planifié le génocide perpétré, dans ce pays, d’avril à juin 1994 ; que, par ailleurs, si l’intéressée fait état de la présence en France de plusieurs de ses enfants, ceux-ci sont majeurs et n’assument pas sa charge ; qu’en outre l’intéressée n’est pas dépourvue de liens familiaux et personnels dans d’autres pays que la France ;

5. Considérant, dès lors, qu’en estimant que le refus opposé à la demande de titre de séjour de Mme C... portait au droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée aux buts de préservation de l’ordre public que ce refus poursuit, la cour administrative d’appel de Versailles a inexactement qualifié les faits qui lui étaient soumis ; que le ministre de l’intérieur est fondé, par suite, à demander l’annulation de l’arrêt attaqué, sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens du pourvoi ;

6. Considérant qu’il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de régler l’affaire au fond en application de l’article L. 821-2 du code de justice administrative ;

7. Considérant, d’une part, qu’en faisant référence aux décisions de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides et de la commission des recours des réfugiés refusant de lui accorder le statut de réfugié et à celle du Conseil d’Etat du 16 octobre 2009 rejetant le pourvoi de Mme C... contre ce refus, le préfet de l’Essonne ne s’est pas cru lié par elles dans l’appréciation de la menace à l’ordre public à laquelle il a procédé, mais s’est référé aux faits que ces décisions ont pris en considération ; d’autre part, qu’ eu égard aux buts en vue desquels il a été pris, le refus opposé à la demande de Mme C...n’a pas porté à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée ;

8. Considérant qu’il résulte de ce qui précède que c’est à tort que le tribunal administratif de Versailles s’est fondé, pour annuler l’arrêté du 4 mai 2011 du préfet de l’Essonne, sur l’illégalité de ses motifs ;

9. Considérant, toutefois, qu’il appartient au Conseil d’Etat, saisi de l’ensemble du litige par l’effet dévolutif de l’appel, d’examiner les autres moyens soulevés par Mme C... devant le tribunal administratif de Versailles ;

10. Considérant, en premier lieu, que l’arrêté attaqué vise les textes applicables à la demande de Mme C... et comporte les considérations de fait, relatives tant à l’ordre public qu’à la vie privée et familiale de l’intéressée, sur lesquelles le préfet s’est fondé pour rejeter la demande ;

11. Considérant, en second lieu, que le moyen tiré de ce que l’arrêté, en tant qu’il comporte obligation de quitter le territoire français, serait illégal par voie de conséquence de l’illégalité du refus de séjour ne peut qu’être écarté ;

12. Considérant qu’il résulte de ce qui précède que le préfet de l’Essonne est fondé à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Versailles a annulé son arrêté du 4 mai 2011 ;

13. Considérant que la présente décision n’implique aucune mesure d’exécution ; que, par suite, les conclusions de Mme C... aux fins d’injonction ne peuvent qu’être rejetées ; qu’il en va de même des conclusions qu’elle présente au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;

D E C I D E :

Article 1er : L’arrêt du 21 décembre 2012 de la cour administrative d’appel de Versailles et le jugement du 6 octobre 2011 du tribunal administratif de Versailles sont annulés.

Article 2 : La demande présentée par Mme C... devant le tribunal administratif de Versailles et ses conclusions présentées devant le Conseil d’Etat au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : La présente décision sera notifiée au ministre de l’intérieur et à Mme A...B... veuve C....

Arrêt n° 11VE03720 de la Cour Administrative d’Appel de Versailles - 06 décembre 2012

Vu la requête, enregistrée le 4 novembre 2011 au greffe de la Cour administrative d’appel de Versailles, présentée par le PREFET DE L’ESSONNE, qui demande à la Cour :

1°) d’annuler le jugement n° 1102726 en date du 6 octobre 2011 par lequel le Tribunal administratif de Versailles a, à la demande de Mme A... B... veuve C..., annulé l’arrêté en date du 4 mai 2011 lui refusant un titre de séjour, l’obligeant à quitter le territoire français et fixant le pays à destination duquel elle serait renvoyée ;

2°) de rejeter la demande présentée par Mme B...veuve C...devant le Tribunal administratif de Versailles ;

Il soutient que :

- la seule circonstance que Mme B...veuve C...séjourne en France depuis plusieurs années et est hébergée chez... ; qu’incontestablement les motifs qui ont justifié la décision d’exclusion du statut de réfugié et qui justifient le refus de séjour sont au nombre de ceux qui justifient des limitations au respect de la vie privée et familiale au sens du 2 de l’article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;

- l’arrêté attaqué est suffisamment motivé dès lors que les agissements exposés par la décision de la Commission des recours des réfugiés du 15 février 2007, décision confirmée par le Conseil d’Etat, doivent être considérés comme constitutifs d’une menace à l’ordre public justifiant un refus d’admission au séjour même si aucun reproche particulier ne peut être fait à l’intéressée en ce qui concerne son comportement en France ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;

Vu la convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés ;

Vu le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile ;

Vu la loi n° 79-587 du 11 juillet 1979 ;

Vu le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l’audience ;

Après avoir entendu au cours de l’audience publique du 22 novembre 2012 :

- le rapport de Mme Geffroy, premier conseiller,

- les conclusions de Mme Agier-Cabanes, rapporteur public,

- et les observations de Me Meilhac, avocat, pour Mme B...veuve C... ;

Considérant que le PREFET DE L’ESSONNE relève régulièrement appel du jugement du 6 octobre 2011 par lequel le Tribunal administratif de Versailles a, à la demande de Mme B... veuve C..., annulé l’arrêté en date du 4 mai 2011 lui refusant un titre de séjour et l’obligeant à quitter le territoire français à destination d’un pays dans lequel elle serait légalement admissible à l’exception du Rwanda ;

Considérant, d’une part, qu’aux termes de l’article L. 313-11 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile : « Sauf si sa présence constitue une menace pour l’ordre public, la carte de séjour temporaire portant la mention »vie privée et familiale« est délivrée de plein droit : (...) 7° A l’étranger ne vivant pas en état de polygamie, qui n’entre pas dans les catégories précédentes ou dans celles qui ouvrent droit au regroupement familial, dont les liens personnels et familiaux en France, appréciés notamment au regard de leur intensité, de leur ancienneté et de leur stabilité, des conditions d’existence de l’intéressé, de son insertion dans la société française ainsi que de la nature de ses liens avec la famille restée dans le pays d’origine, sont tels que le refus d’autoriser son séjour porterait à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des motifs du refus, sans que la condition prévue à l’article L. 311-7 soit exigée. L’insertion de l’étranger dans la société française est évaluée en tenant compte notamment de sa connaissance des valeurs de la République » ; qu’aux termes de l’article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales : « 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui » ;

Considérant, d’autre part, qu’aux termes de l’article 1er F de la convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés : « Les dispositions de cette convention ne seront pas applicables aux personnes dont on aura des raisons sérieuses de penser : / a) Qu’elles ont commis un crime contre la paix, un crime de guerre ou un crime contre l’humanité, au sens des instruments internationaux élaborés pour prévoir des dispositions relatives à ces crimes (...) » ;

Considérant que Mme B...veuve C..., ressortissante d’origine rwandaise née le 1er novembre 1942, s’est vu, sur le fondement des stipulations précitées de l’article 1er F de la convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, refuser l’asile par une décision du 15 février 2007 de la Commission des recours des réfugiés devenue définitive à la suite du rejet le 16 octobre 2009 du pourvoi de l’intéressée devant le Conseil d’Etat ; qu’il ressort des pièces du dossier qu’à la date de la décision attaquée, par laquelle le PREFET DE L’ESSONNE a refusé de faire droit à la demande, présentée le 19 novembre 2009 par Mme B... veuve C..., d’admission au séjour au titre de la vie privée et familiale, l’intéressée, ainsi qu’elle l’affirme sans être contredite, n’avait fait l’objet ni d’une condamnation ni de poursuites pénales notamment au sujet des faits retenus par la Commission des recours des réfugiés comme « raisons sérieuses » au sens des dispositions précitées ; qu’il ne ressort pas des pièces du dossier que, par ses actes ou même sa présence, elle aurait, depuis son entrée en France, constitué une menace pour l’ordre public, au sens des dispositions précitées ;

Considérant qu’il est constant, d’une part, que l’intéressée, veuve depuis 1994, réside en France avec deux de ses enfants et leurs enfants de nationalité française depuis plus de sept ans à la date de l’arrêté litigieux et n’a plus d’attaches au Rwanda, pays que l’arrêté attaqué exclut d’ailleurs, en raison des risques encourus par l’intéressée, des destinations envisageables en cas d’exécution de l’obligation de quitter le territoire ; qu’il ne ressort pas des pièces du dossier, nonobstant l’existence d’une fille de nationalité canadienne résidant au Canada, que l’intéressée pourrait reconstituer sa vie privée et familiale dans un autre pays que la France ; que, dans ces circonstances, et alors même que l’intéressée ne dépendrait pas financièrement de ses enfants comme l’a relevé la commission du titre de séjour, l’arrêté du PREFET DE L’ESSONNE a porté au droit au respect de la vie privée et familiale de Mme B... veuve C...une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels il a été pris ; qu’il a ainsi méconnu les dispositions précitées du 7° de l’article L. 313-11 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile ;

Considérant qu’il résulte de tout ce qui précède que le PREFET DE L’ESSONNE n’est pas fondé à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Versailles a annulé son arrêté du 4 mai 2011 portant refus d’admission au séjour de Mme B...veuve C...et obligation de quitter le territoire français ;

Sur les conclusions aux fins d’injonction :

Considérant que l’article L. 911-1 du code de justice administrative dispose que : « Lorsque sa décision implique nécessairement qu’un personne morale de droit public (...) prenne une mesure d’exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure, assortie, le cas échéant d’un délai d’exécution » ;

Considérant que le présent arrêt implique, nécessairement, la délivrance d’un titre de séjour mention « vie privée et familiale » à Mme B...veuve C... ; qu’il y a lieu d’enjoindre au PREFET DE L’ESSONNE de délivrer à Mme B... veuve C...le titre de séjour en cause, dans le délai d’un mois à compter de la notification du présent arrêt, sans qu’il y ait lieu, dans les circonstances de l’espèce, de prononcer l’astreinte demandée ;

Sur l’application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant, qu’il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, en application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative, de mettre à la charge de l’Etat une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par Mme B...veuve C... ;

DECIDE :

Article 1er : La requête du PREFET DE L’ESSONNE est rejetée.

Article 2 : Il est enjoint au PREFET DE L’ESSONNE de délivrer un titre de séjour mention « vie privée et familiale » à Mme B... veuve C...dans le délai d’un mois à compter de la notification de l’arrêt.

Article 3 : L’Etat versera à Mme B... veuve C...une somme de 1 500 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions de Mme B... veuve C...est rejeté.

6 décembre 2012
Cour Administrative d’Appel de Versailles, 2ème Chambre, 06/12/2012, 11VE03720
Inédit au recueil Lebon
Numéro d’arrêt : 11VE03720

Numéro NOR : CETATEXT000027200898
Identifiant URN:LEX : urn:lex ;fr ;cour.administrative.appel.versailles ;arret ;2012-12-06 ;11ve03720
Juridiction : Cour administrative d’appel de Versailles
Formation : 2ème chambre
Date de la décision : 06/12/2012

Arrêt n°311793 du Conseil d’État - 16 octobre 2009

Analyses :

DROITS CIVILS ET INDIVIDUELS - CONVENTION EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME - DROITS GARANTIS PAR LA CONVENTION - DROIT À NE PAS SUBIR DE PEINES OU TRAITEMENTS INHUMAINS ET DÉGRADANTS (ART - 3) - MÉCONNAISSANCE PAR UNE DÉCISION SE PRONONÇANT SUR LE DROIT AU BÉNÉFICE DU STATUT DE RÉFUGIÉ ET À LA PROTECTION SUBSIDIAIRE - MOYEN INOPÉRANT [RJ1].

Le moyen tiré de ce qu’une décision se prononçant sur le droit au bénéfice du statut de réfugié et à la protection subsidiaire méconnaîtrait l’article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, qui interdit les peines ou traitements inhumains et dégradants, est inopérant dès lors que cette décision n’a ni pour objet ni pour effet de conférer ou de retirer au demandeur le droit de séjourner en France ni de fixer le pays de destination où l’intéressé devrait être reconduit.

ÉTRANGERS - RÉFUGIÉS ET APATRIDES - QUALITÉ DE RÉFUGIÉ OU D’APATRIDE - DÉCISION SE PRONONÇANT SUR LE DROIT AU BÉNÉFICE DU STATUT DE RÉFUGIÉ ET À LA PROTECTION SUBSIDIAIRE - ARTICLE 3 DE LA CONVENTION EDH - MÉCONNAISSANCE - MOYEN INOPÉRANT [RJ1].

Le moyen tiré de ce qu’une décision se prononçant sur le droit au bénéfice du statut de réfugié et à la protection subsidiaire méconnaîtrait l’article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, qui interdit les peines ou traitements inhumains et dégradants, est inopérant dès lors que cette décision n’a ni pour objet ni pour effet de conférer ou de retirer au demandeur le droit de séjourner en France ni de fixer le pays de destination où l’intéressé devrait être reconduit.

PROCÉDURE - POUVOIRS ET DEVOIRS DU JUGE - QUESTIONS GÉNÉRALES - MOYENS - MOYENS INOPÉRANTS - MÉCONNAISSANCE DE L’ARTICLE 3 DE LA CONVENTION EDH INVOQUÉE À L’APPUI D’UNE DEMANDE D’ANNULATION D’UNE DÉCISION SE PRONONÇANT SUR LE DROIT AU BÉNÉFICE DU STATUT DE RÉFUGIÉ ET À LA PROTECTION SUBSIDIAIRE [RJ1].

Le moyen tiré de ce qu’une décision se prononçant sur le droit au bénéfice du statut de réfugié et à la protection subsidiaire méconnaîtrait l’article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, qui interdit les peines ou traitements inhumains et dégradants, est inopérant dès lors que cette décision n’a ni pour objet ni pour effet de conférer ou de retirer au demandeur le droit de séjourner en France ni de fixer le pays de destination où l’intéressé devrait être reconduit.

Références :

[RJ1] Rappr., s’agissant de l’article 8 de la Convention EDH, 30 décembre 1996, Préfet du Loiret c/ Thammi, n° 162100, T. p. 524.

Texte :

Vu le pourvoi sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 24 décembre 2007 et 25 mars 2008 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, présentés pour Mme Agathe A, veuve B, demeurant ... ; Mme B demande au Conseil d’Etat :

1°) d’annuler la décision du 15 février 2007 par laquelle la Commission des recours des réfugiés a rejeté sa demande tendant à l’annulation de la décision implicite du directeur de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (O.F.P.R.A.) rejetant sa demande d’admission au statut de réfugié ;

2°) réglant l’affaire au fond, d’annuler cette décision et de lui octroyer le statut de réfugié ;

3°) de mettre à la charge de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides le versement de la somme de 6 000 euros au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la convention de Genève du 28 juillet 1951 et le protocole signé à New York le 31 janvier 1967 ;

Vu le statut du Tribunal pénal international pour le Rwanda annexé à la résolution 955 (1994) du 8 novembre 1994 du Conseil de sécurité des Nations unies et le règlement de procédure adopté par ce tribunal le 29 juin 1995 ;

Vu le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile ;

Vu le décret n° 2004-814 du 14 août 2004 ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Jean-Philippe Mochon, Maître des Requêtes,

- les observations de la SCP Waquet, Farge, Hazan, avocat de Mme Agathe B et de Me Foussard, avocat de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides,

- les conclusions de Mme Julie Burguburu, rapporteur public ;

- La parole ayant été à nouveau donnée à la SCP Waquet, Farge, Hazan, avocat de Mme Agathe B et à Me Foussard, avocat de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides ;

Sur la régularité de la décision attaquée :

Considérant, en premier lieu, qu’il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la demande présentée par Mme B le 8 juillet 2004 auprès du directeur général de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides et tendant au bénéfice d’une part du statut de réfugié et d’autre part de la protection subsidiaire, a fait l’objet au terme du délai de deux mois prévu par les dispositions alors applicables de l’article 2 du décret du 14 août 2004, d’une décision implicite de rejet ; que le délai d’un mois fixé au directeur général de l’office par les dispositions de l’article R. 733-10 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile pour produire des observations à compter de la communication qui lui est faite d’un recours est sans incidence sur la possibilité qu’a l’office de procéder à tout moment à la motivation d’une décision implicite ni ne fait obstacle à la production d’observations après ce délai ; que, dès lors, la circonstance que le directeur général de l’office ait, au-delà de ce délai, adopté et communiqué à la requérante, qui l’a elle-même versée au dossier, une décision expresse motivée statuant sur sa demande est sans influence sur la légalité de la décision de la Commission des recours ; que la circonstance que le directeur général de l’office ait eu connaissance de la requête de Mme B à la date où il adoptait sa décision expresse, circonstance inhérente à la possibilité alors existante de rejet implicite des demandes qui lui étaient adressées, n’entache pas la régularité de la décision de la Commission des recours ; que, d’ailleurs, le délai qui a été laissé à Mme B entre la communication qui lui a été faite de la décision expresse du directeur général de l’office du 4 janvier 2007 et la clôture de l’instruction avant l’audience de la Commission de recours des réfugiés du 25 janvier 2007 lui a permis de répondre utilement aux motifs énoncés dans cette décision, ce qu’elle a fait par un mémoire complémentaire produit le 19 janvier 2007 ; qu’ainsi la commission n’a pas méconnu les droits de la défense ni statué au terme d’une procédure irrégulière ;

Considérant, en second lieu, que la Commission des recours des réfugiés a énoncé de manière détaillée et abondante les motifs pour lesquels elle retenait que le génocide commis au Rwanda avait été préparé et planifié par les responsables au pouvoir avant le 6 avril 1994 et que Mme B avait joué un rôle central dans cette préparation ainsi que dans les événements qui se sont déroulés dans les premiers jours du génocide entre le 6 et le 9 avril 1994 et était ensuite restée en contact avec le gouvernement intérimaire puis le gouvernement rwandais en exil ; qu’elle a ainsi, tant sur le degré de planification préalable du génocide que sur le rôle de Mme B, suffisamment motivé sa décision et mis le juge de cassation en mesure d’exercer son contrôle ;

Sur le bien-fondé de la décision attaquée :

Considérant qu’aux termes de l’article 1er F de la convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés : Les dispositions de cette convention ne seront pas applicables aux personnes dont on aura des raisons sérieuses de penser : / a) Qu’elles ont commis un crime contre la paix, un crime de guerre ou un crime contre l’humanité, au sens des instruments internationaux élaborés pour prévoir des dispositions relatives à ces crimes (...) ; qu’aux termes de l’article L. 712-2 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile : La protection subsidiaire n’est pas accordée à une personne s’il existe des raisons sérieuses de penser : / a) Qu’elle a commis un crime contre la paix, un crime de guerre ou un crime contre l’humanité (...) ;

En ce qui concerne les moyens tirés d’erreurs de fait et de dénaturations :

Considérant que la requérante soutient qu’en estimant que le génocide avait été planifié par les plus hauts responsables du parti au pouvoir avant 1994 et que sa préparation avait commencé dès 1990 à tout le moins, la Commission des recours des réfugiés a fait reposer sa décision sur des faits matériellement inexacts ; que l’appréciation que porte la commission sur un contexte historique et sur le comportement des acteurs relève de son appréciation souveraine portée à partir des faits pertinents ressortant du dossier qui lui est soumis et qui ne peut être discutée en cassation, hormis dans le cas où elle repose sur une dénaturation ; qu’en estimant que les agissements du gouvernement rwandais avant 1994, notamment son implication dans des massacres à partir de 1990, le climat d’impunité généralisée dans lequel il a laissé agir les groupes les plus extrémistes et la propagande qu’il a menée à l’encontre de la communauté tutsi, alors même que, comme le soutient la requérante, les partis ou mouvements liés aux Tutsis ont pu également commettre des exactions contre les Hutus et que des négociations conduisant à des accords de paix ont pu également être conduites, constituaient des indices suffisants pour estimer que le génocide avait été préparé dès avant 1994 par les plus hauts responsables du régime au pouvoir, la Commission des recours des réfugiés n’a entaché son appréciation d’aucune dénaturation ; que la requérante critique également pour inexactitude matérielle la référence faite par la Commission des recours à l’appel à la haine contre les Tutsis et les opposants politiques contenu dans le discours prononcé par M. Léon C le 22 novembre 1992 ; que cependant il ne ressort pas des pièces du dossier soumis aux juges du fond, et notamment pas des opinions émises par les membres d’une juridiction étrangère dans un jugement d’ailleurs annulé par une autre juridiction, que les termes de ce discours aient été matériellement déformés ni que la Commission des recours en ait dénaturé la portée ;

Considérant que la requérante soutient qu’en retenant qu’elle a joué un rôle central par sa position au coeur du régime génocidaire responsable de la préparation et de l’exécution du génocide qui a débuté le 6 avril 1994, alors qu’elle n’a pu jouer un tel rôle compte tenu de son départ du Rwanda dès le 9 avril 1994, la commission a fondé sa décision sur des faits matériellement inexacts ; que cependant il ressort des termes mêmes de la décision que la Commission des recours a pris en compte la date exacte à laquelle la requérante a quitté le Rwanda et fondé son appréciation souveraine du rôle central de la requérante dans la préparation et la conduite du génocide sur un ensemble de faits, aussi bien antérieurs que postérieurs au déclenchement du génocide, qu’elle n’a pas dénaturés ;

Considérant que la requérante soutient également que la commission aurait dénaturé les pièces du dossier en se référant, pour juger qu’elle avait joué un rôle central au sein du premier cercle du pouvoir rwandais avant 1994, dit D , à des paragraphes de plusieurs jugements du tribunal pénal international pour le Rwanda qui ne porteraient pas sur ce point ; que, si les paragraphes mentionnés sont sans rapport, comme le soutient la requérante, avec l’existence d’un organe occulte de pouvoir qu’elle aurait influencé, il ressort cependant de la structure même de la décision qu’après avoir cité un ensemble de pièces nombreuses, la commission a estimé que chacune d’elles établissait ou contribuait à établir l’une ou plusieurs des nombreuses appréciations portées dans le considérant les mentionnant ; que, de ce fait, les paragraphes de jugements mentionnés, qui portent sur la préméditation et la réalité du génocide, ne peuvent être regardés comme ayant été à la base de l’appréciation portée sur l’implication de la requérante dans le pouvoir occulte, résultant d’autres pièces mentionnées par la commission ; qu’aucune dénaturation n’entache ainsi l’appréciation portée ; que si la commission a, par une erreur purement matérielle, relevé que l’acte d’accusation émis par le procureur du tribunal pénal international pour le Rwanda à l’encontre de M. Protais E associait la requérante à la mise en forme graduelle du plan génocidaire, c’est sans dénaturer les pièces du dossier et sans que cette erreur ait d’incidence sur l’appréciation souveraine à laquelle elle s’est livrée qu’elle a pu estimer que la requérante avait joué un rôle central au sein du premier cercle du pouvoir rwandais et pris part à ce titre à la préparation et à la planification du génocide ;

En ce qui concerne les erreurs de droit alléguées :

Considérant que, tout en faisant application des dispositions précitées pour exclure la requérante du bénéfice du statut de réfugié et de la protection subsidiaire, la commission a reconnu que ses craintes personnelles et actuelles en cas de retour au Rwanda pouvaient être tenues pour fondées ; que le moyen tiré de ce qu’elle n’aurait pas tenu compte de la gravité des persécutions que la requérante encourait doit dès lors être écarté ; que le moyen tiré de ce que Mme B n’aurait pas exercé de fonctions officielles et ne ferait pas l’objet de poursuites est, même à le supposer fondé, inopérant, l’appréciation de la commission sur l’existence de raisons sérieuses de penser que la requérante s’est rendue coupable des agissements qui lui sont reprochés n’étant pas subordonnés à de telles circonstances ;

Considérant que la commission n’a pas davantage commis d’erreur de droit, ni omis de tirer les conséquences légales de ses constatations, en se fondant sur l’existence de raisons sérieuses de penser que Mme B aurait commis un crime au sens du a) de l’article 1er F de la convention de Genève, alors même qu’elle avait quitté le Rwanda le 9 avril 1994, dès lors qu’elle s’est légalement fondée, pour porter cette appréciation, sur le rôle central de l’intéressée au sein d’un régime au pouvoir avant le 6 avril 1994 qui avait préparé et planifié le génocide ainsi que sur ses agissements personnels dans la période décisive du déclenchement du génocide entre le 6 et le 9 avril 1994 et sur les liens qu’elle a ensuite continué à entretenir avec les auteurs du génocide ; qu’elle a pu sans erreur de droit se fonder notamment sur des éléments contenus dans des déclarations déposées, dans le cadre d’instances devant le tribunal pénal international pour le Rwanda, par des témoins non identifiés car bénéficiant de mesures de protection au titre de l’article 21 des statuts et de l’article 69 du règlement de procédure de ce tribunal ;

Considérant, enfin, que la décision qui se prononce sur le droit au bénéfice du statut de réfugié et à la protection subsidiaire n’a par elle-même ni pour objet ni pour effet de conférer ou de retirer au demandeur le droit de séjourner en France ni de fixer le pays de destination où il devrait le cas échéant être reconduit ; que sont dès lors inopérants les moyens tirés par Mme B de son droit à la vie privée et familiale garanti par l’article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ainsi que de la protection contre les peines ou traitements inhumains et dégradants en vertu de l’article 3 de cette même convention ;

Considérant qu’il résulte de tout ce qui précède que Mme B n’est pas fondée à demander l’annulation de la décision attaquée, en date du 15 février 2007, par laquelle la Commission de recours des réfugiés a rejeté sa demande ;

Sur les conclusions tendant à l’application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant que ces dispositions font obstacle à ce que soit mise à la charge de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides qui n’est pas, dans la présente instance, la partie perdante, la somme que demande Mme B au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ; qu’il n’y a pas lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge de Mme B la somme que demande l’O.F.P.R.A. au même titre ;

D E C I D E :

Article 1er : Le pourvoi de Mme B est rejeté.

Article 2 : Les conclusions présentées par l’Office français de protection des réfugiés et apatrides au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : La présente décision sera notifiée à Mme Agathe B, à l’Office français de protection des réfugiés et apatrides et au ministre de l’immigration, de l’intégration, de l’identité nationale et du développement solidaire.

Numéro d’arrêt : 311793
Numéro NOR : CETATEXT000021242848
Identifiant URN:LEX : urn:lex ;fr ;conseil.etat ;arret ;2009-10-16 ;311793
Publications :
Proposition de citation : CE, 16 octobre 2009, n° 311793
Mentionné aux tables du recueil Lebon


Sources :

Base juridique du Conseil d’état - décision n° 366219 (conseil-etat.fr).

Arrêt 366219 (Conseil d’État, 7ème et 2ème sous-sections réunies, 05 juin 2013, 366219)

Arrêt 11VE03720 (Cour administrative d’appel de Versailles, 2ème chambre, 06 décembre 2012, 11VE03720)

Arrêt 311793 (Conseil d’État, 10ème et 9ème sous-sections réunies, 16 octobre 2009, 311793)

Rwanda : Top French Court Rejects Agathe’s Asylum Request - article en anglais de James Karuhanga, du News Times, du 6 Juin 2013 (repris par AllAfrica).


Le procès d’Agathe H

Benjamain Sehene, La Nuit rwandaise n°3, avril 2009.

A lire

Gaëtan Sebudandi, Quand la France traîne les pieds face aux décisions de justice : le cas Agathe Habyarimana, La Nuit rwandaise n°7 (2013), p.43.

Retrouver le document du Conseil d’Etat :

http://www.conseil-etat.fr/fr/base-de-jurisprudence/ (lancer une recherche simple avec le n° 366219 sur la base de données des décisions (référence complète : Conseil d’État N° 366219ECLI:FR:CESSR:2013:366219.20130605 Mentionné aux tables du recueil Lebon)

Les décisions, ordonnances et avis contentieux du Conseil d’État sont communicables de plein droit en copie papier, sous réserve, dans certains cas, de l’effacement des noms des personnes concernées par l’affaire, ...


Source des documents :

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Bruno Gouteux est journaliste et éditeur —Izuba éditions, Izuba information, La Nuit rwandaise, L’Agence d’Information (AI), Guerre Moderne, Globales…—, consultant —Inter-Culturel Ltd— et dirige une société de création de sites Internet et de contenus —Suwedi Ltd.

Il est engagé dans plusieurs projets associatifs en France et au Rwanda : Appui Rwanda, Distrilibre, Initiatives et Solutions interculturelles (ISI), le groupe Permaculture Rwanda, Mediarezo

 21/06/2013

[1après avoir résidé au Gabon, au Zaïre et au Kenya, Agathe Kanziga se serait installée en France en 1998.

[2sources : CPCR, La Nuit rwandaise, New Times

[3selon Alain Gauthier, interrogé par James Karuhanga du New Times, le 6 Juin 2013

[4L’article 761-1 est relatif aux frais et dépens liés à la procédure.

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